Actualités
Le patrimoine immatériel vu par les centre Bretons
Depuis un an maintenant, Bretagne Culture Diversité restitue, chaque mois, le résultat des enquêtes réalisées dans le cadre de l’inventaire participatif du patrimoine culturel immatériel (PCI) mené de 2015 à 2020 en partenariat avec le Pays du Centre Ouest Bretagne (COB). Pour le dernier article de la série, nous vous livrons quelques résultats d’une enquête réalisée auprès des habitants de quatre communes du Centre Ouest Bretagne.
Dans le cadre de l’inventaire participatif, nous avons rencontré des élus, des acteurs associatifs ou du tourisme, des praticiens et praticiennes qui font vivre le PCI. Mais qu’en est-il de celles et ceux qui ne viennent pas forcément aux réunions publiques et ateliers ou qui ne sont pas engagés dans une association en lien avec le PCI ? Pour aller à leur rencontre, nous nous sommes associés à des sociologues de l’université Rennes 2, membres du laboratoire interdisciplinaire de recherches en innovation sociétale (LiRIS), afin de comprendre les représentations et les attachements qu’ont ces habitants au PCI. En lien avec les maires des communes de La Feuillée, Langonnet, Plounévez-Quintin et Poullaouen, nous avons interviewé en 2019 plusieurs dizaines d’habitants autour d’une question centrale : qu’est-ce qui, pour vous, fait patrimoine ?
De l’origine géographique
Parmi les personnes rencontrées, certaines sont nées ici et sont toujours restées vivre dans le COB. D’autres, nées ici, sont parties puis revenues, souvent dans leur commune d’origine ou à proximité. Et puis, il y a les personnes issues d’autres régions de France ayant choisi de venir vivre en Bretagne à un moment donné de leur parcours de vie. Ce constat, bien connu et commun, nous enseigne toutefois que l’attachement que les personnes peuvent avoir pour le patrimoine immatériel ou, plus largement pour la culture bretonne, ne dépend pas uniquement du fait d’être né ici ou là-bas. Les liens, l’attachement pour le patrimoine vivant relèvent de relations établies dans le temps, auprès de quelques-uns et pas de quelques autres, à cet endroit-là et pas à un autre. Cela dépend donc de la relation que chacun tisse au fur et à mesure du temps pour certains. Pour d’autres, ces liens ne se sont jamais tissés.
Des patrimoines différents selon les lieux de vie
Au-delà de l’endroit où les personnes rencontrées sont nées, elles habitent toutes sur le territoire du COB mais dans des communes différentes. On a ainsi pu constater que les pratiques de la culture bretonne et du PCI citées sont toujours associées à des territoires localisés. Par exemple, beaucoup fréquentent tel pardon mais pas tel autre, se déplacent pour tel fest-noz mais pas pour tel autre. Et d’aucuns de souligner « qu’ici on ne parle pas le même breton que les voisins ». Ainsi, si les communes dans lesquelles nous avons enquêté se différencient selon leur démographie, le type et le nombre de services de proximité, une activité économique plus ou moins dense et dynamique, etc., les habitants du COB sollicités différencient aussi ces communes selon ce qui fait patrimoine pour eux.
Ainsi, la commune de La Feuillée n’est pas celle Poullaouën parce qu’elle est située dans les Monts d’Arrée caractérisés par leur lande, leurs forêts, leurs légendes et leurs contes. Langonnet n’est pas Plounévez-Quintin parce qu’Alan Stivell y a élu résidence durant de nombreuses années, parce que s’y tient à nouveau la fête de la langue bretonne et que la commune a connu une vague d’émigration vers le Canada et les États-Unis dans les années 1950-1960. Poullaouën n’est pas La Feuillée parce que la commune se situe à la lisière des Monts d’Arrée et qu’elle est le berceau du renouveau du fest-noz. Plounévez-Quintin n’est pas Langonnet parce qu’une ancienne institutrice a initié toute une génération aux danses bretonnes, parce que s’y trouve, à proximité, la commune de Rostrenen et l’influence de son cercle celtique.
Reconstruire des solidarités locales
C’est dire que ce qui fait patrimoine pour les personnes rencontrées n’est pas donné d’avance et n’existe pas en soi. Le patrimoine (quel qu’il soit) est socialement construit. Ainsi, les habitants avec qui nous avons échangé ont produit des rapports différents et spécifiques au PCI et à la culture bretonne selon leur histoire, selon le bain culturel de leur enfance et ce qu’elles en font.
Si ces différents éléments observés participent à faire la richesse du patrimoine vivant et de la culture bretonne, ils n’en constituent pas moins un défi pour les acteurs (associatifs et politiques) qui souhaitent le faire vivre au quotidien et le transmettre. Car sauvegarder le patrimoine suppose de faire des choix. Bien sûr, cette sélection est différente selon la génération à laquelle on appartient. Toutes les personnes rencontrées n’ont pas grandi aux mêmes époques. Par exemple, toutes n’ont pas grandi à une époque où la culture bretonne a fait l’objet de disqualification jusqu’à en être ringardisée. De même, toutes n’ont pas grandi à l’époque du renouveau de la musique bretonne sous l’impulsion d’Alan Stivell, annonçant une période de reconquête et provoquant un sentiment de fierté. Ainsi, à l’écoute des uns et des autres, on comprend que ces époques les ont profondément marqués. Et selon leur façon de vivre ces époques, ils retiennent telle pratique du PCI plutôt que telle autre. Ce qui explique également leur degré d’implication dans sa transmission.
Mais si ce patrimoine vivant, cette culture bretonne ne sont pas vécus de la même façon selon où on habite, selon l’âge que l’on a ou le parcours de vie qui est le nôtre, l’enjeu actuel n’en est pas moins de se servir du PCI pour construire de nouvelles solidarités locales. Comme cet agriculteur rencontré qui organise un pardon moins pour la dimension religieuse que pour celle sociale. Pour lui, le pardon est devenu une occasion de rompre l’isolement subit par son activité professionnelle. Cet exemple, parmi d’autres, illustre tout l’enjeu qu’il y a actuellement autour du PCI : lui (re)donner un rôle contemporain afin d’en assurer sa sauvegarde.
Bretagne Culture Diversité
Article paru dans Le Poher
Semaine du 27 octobre au 2 novembre 2021
Et maintenant ?
Le 30 juin dernier a eu lieu à Carhaix la restitution publique finale de l’inventaire participatif du PCI qu’a réalisé BCD en Centre Ouest Bretagne. Cette restitution marque la fin d’un projet mais le travail n’est pas fini pour autant. Les membres de la commission culture du Conseil de développement et du Pays du Centre Ouest Bretagne ont commencé à travailler sur le projet culturel de territoire. Le rapport réalisé dans le cadre de l’inventaire leur servira de point de repère sur les aspects relatifs au patrimoine immatériel. Car, comme l’évoquait Jean-Charles Lohé, président du Pays, lors de la restitution de juin dernier, « nous sommes plusieurs élus à nous sentir concernés par les enjeux relatifs au PCI. C’est pour cela que nous souhaitons mener un travail de fond en lien avec le terrain afin de réfléchir à ce que nous souhaitons mettre en avant pour poursuivre ce projet et continuer à le porter. »
Rendez-vous est donc donné prochainement par le Pays pour co-élaborer et préciser les actions à mettre en œuvre. « Tout l’enjeu va consister à transformer l’essai en passant dans le concret pour voir ce qui peut réellement être fait » précise Laure Alart, chargée de mission culture au Pays. Car, comme le rappelait Ronan Guéblez, président de l’association Dastum, lors de la restitution publique, « on est en train de perdre beaucoup de choses, mais si on ne fait rien, on en perdra beaucoup plus encore ».