Le massacre de Penguérec : 7 août 1944

Auteur : Dimitri Poupon / juin 2019
Le lundi 7 août 1944, au commencement du siège de Brest et alors que l’armée américaine approche du port du Ponant, des soldats allemands massacrent 44 civils à Penguérec, lieu-dit de la commune de Gouesnou.

Lorsque les Alliés déclenchent l’opération Overlord sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944, Gouesnou est un paisible petit village breton au nord de Brest. La commune est occupée par les troupes de la Wehrmacht depuis le 20 juin 1940. Durant l’Occupation, Gouesnou subit les ratés des bombardements de Brest, et pas moins de 179 bombes sont déjà tombées sur la commune au 15 janvier 1942.

Dans les ruines de Brest, sans date. Musée de Bretagne : 981.0025.83.Entre le débarquement du 6 juin et la mi-juillet 1944, les Alliés « pataugent » dans le bocage normand, progressant beaucoup moins rapidement qu’escompté. Face à une situation au point mort, le Quartier général des forces alliées (SHAEF) décide de mettre sur pied une opération de grande envergure qui aura pour but de briser la ligne de front. Le 25 juillet l’opération Cobra est lancée depuis le nord du Cotentin. Cette opération a pour objectif le sud de la Normandie. Les Américains avancent vite, notamment grâce à la IIIe armée américaine du général Patton. Le 31 juillet, ses blindés prennent Avranches, ville clé du sud-Manche qui leur offre une porte d’entrée sur la Bretagne. Les Allemands, complètement submergés par le déferlement de puissance auquel les soumettent les Américains, opposent une faible résistance en Ille-et-Vilaine, et Rennes est libérée le 4 août. Patton reçoit alors l’ordre de prendre les ports de Saint-Malo, Lorient, Saint-Nazaire et Brest. Mais très vite, la priorité est donnée à la prise de Brest.

Depuis 1940, les Allemands ont fait de la cité du Ponant une place militaire vitale. Le port, transformé en base pour les sous-marins – les fameux U-Boot –, revêt une réelle importance stratégique et les Alliés en ont grandement besoin pour y décharger les millions de tonnes de matériel de guerre.

Les forces en présence

La percée de la 6e division blindée (The Super sixth) américaine est fulgurante : en trois jours elle se présente devant Brest. La vitesse est la clé du succès et il faut prendre la cité du Ponant le plus rapidement possible avant que les Allemands n’aient le temps de saboter le port, comme ce fut le cas pour Cherbourg. Le général Troy Middleton  enjoint ses troupes de foncer. Les chars avalent les kilomètres, à tel point qu’ils rattrapent la 266e division d’infanterie allemande qui se replie vers Brest depuis Dinan.

Composition d'une division blindée américaine. Archives départementales du Finistère : 208 J 106.Au soir du 6 août, les Américains sont à Plabennec, soit à 3 km au nord de Gouesnou. Leur situation est précaire : ils combattent au sud les Allemands de la 343e division d’infanterie sur une ligne Milizac/Gouesnou/Guipavas, mais également la 266e division d’infanterie sur un font nord, dans le secteur de Lesneven. Cette dernière, commandée par le général Karl Spang, a pour ordre de se replier sur Brest devenue Festung. L’Oberkommando der Wehrmacht (OKW) a en effet décidé de transformer la ville de Brest en une « forteresse » que les hommes devront défendre jusqu’au dernier, rendant ainsi inenvisageable une capitulation. Le 7 août au matin, l’état-major allemand à Brest décrète l’état de siège pour 15 h.

L’attaque des SAS et des FFI

Ce même 7 août, les Américains, qui n’ont pas réussi à lancer une attaque sur Brest, reçoivent le soutien des Forces françaises de l’intérieur (FFI), qui remplissent le rôle d’éclaireurs et de guides pour les troupes américaines. À Gouesnou, ces Résistants sont commandés par Philippe Prédour qui est averti que des soldats allemands ont établi un poste d’observation en haut du clocher de l’église d’où ils coordonnent les tirs de leur artillerie.

Les Américains refusent d’engager leurs chars pour deux raisons. Ils sont en effet aux prises à de violents combats sur la commune de Plouvien, au nord-ouest de Gouesnou, et les tanks US se retrouveraient beaucoup trop exposés à l’artillerie allemande. Il faut donc une attaque avec des unités légères. Philippe Prédour et les Américains font alors appel aux hommes du Special Air Service (SAS), ces parachutistes français formés par les Britanniques aux combats de guérilla et aux attaques commando. Ces parachutistes de la France Libre sont largués par petits groupes de 8 à 10 hommes sur le Finistère dans le cadre de l’opération Derry. Ils ont pour objectif de sécuriser les ponts de Morlaix, de Plougastel, mais surtout de venir en aide à la Résistance.

En arrière-plan, le pont de Plougastel (années 1930). Musée de Bretagne : 982.0008.945.Dans la région de Lesneven, un groupe de 8 SAS, le Stick n° 4, commandé par le sous-lieutenant Maurice Gourkow, est largué dans la nuit du 4 au 5 août. Ce sont ces SAS qui viennent en renfort des FFI pour l’attaque du clocher. L’attaque débute vers 14 h, elle ne dure qu’une vingtaine de minutes. Les Allemands sont délogés de l’église et laissent un mort, mais réussissent néanmoins à appeler des renforts basés au sud de la commune. Les SAS déplorent de leur côté deux tués : le sergent-chef Lucien Rotenstein et le soldat Georges Roger. Le groupe mixte constitué de SAS et de FFI se dirige ensuite sur la route Gouesnou-Saint-Renan où il attaque un convoi allemand et libère des prisonniers nord-africains (leur nombre et leur origine exacts sont à ce jour inconnus) qui s’enfuient après s’être emparés des armes des Allemands. Certains témoins « auraient vu » ces mêmes Nord-Africains attaquer un groupe de soldats Allemands qui défendaient un projecteur de DCA dans un champ au lieu-dit de Penguérec.

La réaction allemande

Les Allemands décident de réagir à ces attaques « terroristes ». Des renforts arrivent vers 16 h à Penguérec depuis le lieu-dit Roc’h Glas où est établie une batterie antiaérienne appartenant à la Kriegsmarine. Pour les Allemands, cette réaction est obligatoire. En effet le règlement militaire allemand stipule (depuis les ordonnances des 12 février et 4 mars 1944 des généraux Sperrle et Keitel), que tout officier allemand doit répondre avec la plus grande sévérité aux attaques de partisans contre des soldats ou des installations allemands en ripostant par le feu, en isolant la zone concernée, en arrêtant tous les civils de la zone et en incendiant les maisons. Et ce sans devoir attendre l’autorisation de riposte des autorités supérieures. Si celle-ci n’a pas lieu, l’officier s’expose à des sanctions graves. À noter que l’ordonnance de Sperrle précise que « les mesures prises, même excessives, ne pourront pas entraîner de sanction ».

Vers 16 h, un camion en provenance de la batterie de Roc’h Glas se présente face aux fermes des familles Phélep et Simon au lieu-dit Penguérec, au sud-ouest du bourg de Gouesnou. Ces soldats appartiennent à la Kriegsmarine (probablement à la 9e flottille). À peine sont-ils arrivés qu’ils mitraillent la ferme Simon et mettent le feu au foin. La famille Simon part s’abriter dans la ferme Phélep qui se trouve de l’autre côté de la cour. Les deux familles se réunissent dans la cuisine et observent les Allemands par la fenêtre. C’est alors que Jean Phélep, 53 ans, décide de sortir dans la cour, un torchon à la main en guise de drapeau blanc, et tente de parlementer avec les assaillants. C’est peine perdue : les Allemands l’abattent puis jettent des grenades par la fenêtre. Yvette Kerboul est touchée à la jambe par des éclats de grenade mais arrive à sortir par une porte arrière et s’enfuit. Très vite, la ferme Phélep est également incendiée. Marie-Louise Phélep, la femme de Jean, et sa fille Francine tentent de faire libérer les animaux pour leur éviter de finir carbonisés mais elles sont également abattues. Le fils, Pierre Phélep, 21 ans, tente de fuir à travers champs, mais est lui aussi tué, ainsi que Marie-Jeanne Kerboul, 20 ans.

La ferme Phelep, peu après le massacre. Archives Dimitri Poupon.Une fois le massacre terminé, les survivants sont rassemblés dans un champ qui se trouve non loin des deux fermes. Les Allemands s’attaquent ensuite à une troisième ferme : celle de la famille Luslac. Là, Jacques Luslac est blessé (il décédera de ses blessures à l’hôpital Ponchelet le lendemain) ainsi que Gouesnou Gestin, un garçon de ferme. Jeanne Luslac est tuée sur le coup, ainsi que leur fille Marie Segalen (41 ans) et son fils, René Segalen (19 ans).

Les Allemands raflent ensuite plusieurs personnes dans le bourg et sur la route de Saint-Renan. Seuls les hommes sont retenus en otage. Ils sont emmenés à Penguérec où ils sont tous fusillés. Leurs corps sont ensuite entassés sur un tas de fumier, et les Allemands y mettent le feu.

L’après 7 août

Le charnier n’est découvert que le lendemain par des religieuses : sœur Paul (née Marianne Le Ven) et sœur Hortense. Elles assuraient le rôle d’infirmières dans la commune depuis le début de la guerre. Sur l’ensemble des victimes, 9 personnes demeurent à ce jour non identifiées. Les corps des victimes ne sont inhumés que le 11 janvier 1945, cinq mois après le massacre. Ils sont enterrés dans une fosse commune du cimetière de Gouesnou.

Aujourd’hui, les auteurs du massacre de Penguérec restent inconnus, bien que quelques noms aient été mentionnés dans divers rapports ou ouvrages. Le nom de certains Allemands, comme le lieutenant Adam Muller (apparemment de la 9e escadrille de U-Boot), le sergent « Kinip », les soldats Hans Wilhelm et Georg Steingruber sont souvent mentionnés sans qu’aucune preuve n’ait été apportée.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Dimitri Poupon, « Le massacre de Penguérec : 7 août 1944 », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 25/06/2019.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/le-massacre-de-penguerec-7-aout-1944

BIBLIOGRAPHIE

 

  • Eismann Gael, Hôtel Majestic, ordre et sécurité en France occupée (1940-1945), Paris, Tallandier, 2010.
  • Bossard Albert, Gouesnou d’hier à aujourd’hui, Saint-Thonan, éd. Cloitre, 2015.
  • Yoni Emile, Mémoire de Lambézellec, n°51.
  • Browning Chritopher R., Des hommes ordinaires, le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, Paris, Tallandier, 2005.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité