Les « savoir-faire de la broderie et de la dentelle en Bretagne » viennent d’être inscrits par le ministère de la Culture à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel (PCI). Une bonne nouvelle pour la sauvegarde de ces savoir-faire, une reconnaissance pour les passionné-e-s qui les font vivre au quotidien.
Dans le cadre de sa mission d’inventaire du PCI, Bretagne Culture Diversité a lancé en août 2019 la réalisation d’une enquête ethnographique sur les savoir-faire de la broderie. Face à la richesse du sujet, un groupe régional est constitué début 2020 afin de rédiger une fiche d’inventaire. Très vite, le collectif décide également d’intégrer les savoir-faire de la dentelle à la réflexion car de nombreux ouvrages en Bretagne mêlent les deux savoir-faire. Ce travail d’un an, accompagné d’ethnologues et d’historiens, a abouti à une fiche d’inventaire d’une cinquantaine de pages qui offre une riche synthèse sur ces savoir-faire.
Des savoir-faire bien vivants en Bretagne
S’il n’y a pas de spécificité technique particulière en Bretagne dans le domaine de la broderie, notamment au niveau du répertoire de points, des évolutions locales ont créé des styles particuliers et nettement reconnaissables, par la rencontre inédite de combinaisons de points, de couleurs et de motifs propres à chaque terroir.
Autre aspect spécifique : leur vitalité actuelle. Même si les années 1960 ont été une période critique avec la disparition d’une grande partie des brodeur∙se∙s et des dentellier∙e∙s, des personnes conscientes du risque de disparition de ces savoir-faire se sont alors mobilisées pour organiser leur sauvegarde. Aujourd’hui, la transmission est assurée par le biais de nombreux cours et stages dans les cinq départements ainsi qu’en-dehors de la région.
Broderie et dentelle bénéficient d’un engouement populaire, et leur renouveau, notamment dans le domaine de la création textile, leur assure une certaine renommée en-dehors de la Bretagne. La pratique touche ainsi différents âges et milieux sociaux, et l’on constate un rajeunissement global du public intéressé. Ces savoir-faire font partie de la vie de nombreuses personnes, que ce soit pour recréer des costumes, toujours portés au sein des cercles celtiques dans des contextes de représentation, ou pour créer des pièces actuelles (dans le domaine du vêtement, des accessoires de mode, de la décoration d’intérieur…), ainsi que des œuvres originales.
Des savoir-faire menacés
Les acteurs de la broderie font état d’un regain de la pratique et d’un engouement populaire, qui s’inscrivent dans une mode globale des loisirs créatifs et du fait-main. Et la demande en matière de formations (cours et stages) connaît d’ailleurs une forte augmentation depuis les années 2010. Cependant, des nuances sont à apporter.
Cette vitalité ne touche pas toutes les techniques de la même manière. Le picot, par exemple, ne bénéficie pas du même engouement que les diverses techniques de broderie aujourd’hui enseignées et pourrait être menacé de disparition car son utilisation habituelle pour la création de napperons, gants, chemisiers… ne correspond plus aux goûts actuels. Par ailleurs, les praticien∙ne∙s éprouvent plus de difficulté à trouver un usage contemporain à des techniques telles que la broderie sur tulle et le filet noué et brodé, bien que certaines personnes déploient beaucoup d’imagination dans ce domaine.
De plus, le renouveau de la broderie n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire. Les pays nantais et rennais, en particulier, bénéficient moins de la dynamique de transmission et de création actuelle, tandis que la Cornouaille et, dans une moindre mesure, le Vannetais, concentrent une grande partie des brodeur∙se∙s et des dentellièr∙e∙s.
À noter également que si les savoir-faire de la broderie et de la dentelle ont été sauvegardés, la profession de brodeur∙se est quant à elle dans une situation délicate. Aujourd’hui, très peu de personnes vivent de leur savoir-faire, et celles qui le font gagnent difficilement leur vie. Les professionnel∙le∙s ne peuvent se faire rémunérer à la hauteur des heures de travail sous peine de ne pas trouver d’acheteurs, ce qui fait de la broderie une activité peu rentable. En effet, rares sont les personnes disposées à consacrer d’importantes sommes à l’achat de pièces brodées. La broderie est donc bien vivante mais, paradoxalement, très peu de personnes en vivent.
De manière générale, bien qu’un grand nombre de personnes s’adonnent à la broderie et à la dentelle, cette pratique reste relativement invisible. La part importante du travail bénévole, invisible car non comptabilisé et non médiatisé, est à la fois ce qui a sauvé le savoir-faire à l’époque critique où il a failli disparaître et la raison pour laquelle l’ampleur de la pratique est aujourd’hui méconnue et sous-estimée.
Enfin, si la diversité des lieux d’enseignement est garant de la diversité des approches, cette offre reste cependant fragile car peu de personnes enseignent la broderie à l’heure actuelle. Et certains lieux de cours ne reposent que sur la bonne volonté d’un seul enseignant bénévole. Si d’aventure les possibilités d’apprentissage venaient à se réduire, il existerait alors un risque qu’une vision prévale sur les autres au détriment d’une diversité.
Pourquoi inscrire ces savoir-faire à l’Inventaire national du PCI ?
L’inscription à l’inventaire national du PCI offre une reconnaissance institutionnelle à tous les praticiens, brodeurs, brodeuses, amateurs et professionnels qui font vivre ces savoir-faire au quotidien et participent à les transmettre. Le collectif à l’origine de la fiche d’inventaire a réfléchi à des pistes de sauvegarde pour l’avenir : un répertoire des professionnel∙le∙s ; une association des brodeur∙se∙s et dentellier∙e∙s de Bretagne ; des résidences d’artistes ; des concours ; une exposition… Une dynamique régionale est amorcée. Mais ce n’est qu’un point de départ et il convient que praticiens, acteurs culturels et élus se mobilisent pour réfléchir concrètement à l’avenir de ces savoir-faire.