Clémentine Jouin, chanteuse du Pays de Redon

Clémentine Jouin incarne pleinement cette dimension de la transmission et du partage. La qualité de son timbre de voix, grave et chaleureux, son énergie joyeuse et communicative, l’attention qu’elle porte à son chant, aux gens qui l’entourent, la richesse de son répertoire, pleinement enraciné dans le pays de Redon, sa capacité à attirer l’écoute, tout cela fait de Clémentine, depuis près de trente ans, une référence pour de nombreux chanteurs du pays gallo.

Sa rencontre avec Mathieu Hamon, au début des années 1990, nous donne un symbole fort de cette transmission, et l’on sent l’importance qu’a eue cette rencontre sur le parcours du jeune chanteur et collecteur d’alors, qui porte haut, aujourd’hui, les couleurs du chant de Haute-Bretagne. Au-delà de cette rencontre, Clémentine croise en ces années 1990 une dynamique forte de la collecte des traditions orales en Haute-Bretagne, et de la mise en valeur de leurs porteurs. Grâce à  cette dynamique, incarnée notamment par le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine et l’Épille, Clémentine aura l’occasion de chanter souvent en public et de transmettre son répertoire en direct à plus d’une centaine de personnes, dans le cadre de stages et autres ateliers de chant. Depuis 25 ans, Clémentine rechante ce qu’elle ne chantait plus. Magie de la collecte qui, non seulement créée des archives sonores précieuses pour le futur, mais surtout réactive les pratiques, provoque les rencontres humaines et permet de recréer une transmission directe.

Le parcours de Clémentine

Clémentine est née en 1926 dans le grand village de Noyal, en Sixt-sur-Aff, au nord de Redon, dans une famille de petits cultivateurs qui possèdent trois vaches, deux bœufs, sur une surface de moins de trois hectares. Clémentine grandit dans ce milieu paysan modeste qui ne voit apparaître les progrès de la mécanisation que peu à peu. Élevée dans un environnement qui parle le gallo (elle dit « le patois »), Clémentine découvre et apprend le « bon français » à l’école, qu’elle fréquente de l’âge de six ans jusqu’à l’âge de douze ans. À partir de cet âge, elle reste aider à la ferme de ses parents et va de temps en temps en journée dans les fermes voisines. Comme partout dans la région à cette époque, les grands travaux collectifs, les veillées d’hiver, les noces, et autres repas de boudins sont des occasions privilégiées pour elle d’entendre chanter. La famille ne possède pas de poste TSF, et tout son répertoire lui vient de la pratique chantée de son environnement proche, familial et de village. C’est pendant cette période qu’elle se forge l’essentiel de son répertoire. Elle se souvient notamment d’une ancienne voisine, « la p’tite Nannon » (Nanne Diguet) qui, avec son père, fait figure de source principale.

À l’âge de 18 ans, des gens de la Gacilly, commune voisine, lui proposent de travailler dans un magasin d’alimentation qu’ils possèdent près de Nantes, à Saint-Sébastien-sur-Loire. C’est pour elle l’occasion de quitter son village et de découvrir autre chose. « Ça m’a débrouillée », dit-elle. Mais deux ans plus tard, en 1946, un garçon de son village, Joseph Jouin, la demande en mariage, et à 20 ans, elle se marie et revient s’installer à Noyal, en Sixt-sur-Aff, dans la ferme de la famille Jouin où ils resteront six ans. En 1952, ils s’installent à Carentoir dans une ferme plus grande (dix hectares), puis déménagent à nouveau en 1959 pour la commune d’Avessac, de l’autre côté de Redon, en Loire-Atlantique. Ils deviennent alors propriétaires de leur ferme de 17 hectares et s’y établissent définitivement. Ils y auront cinq enfants. Toute cette période est entièrement consacrée au travail, et les changements de vie aussi bien que l’évolution de la société et de l’agriculture ne laissent plus au chant la place qu’il avait dans le quotidien des générations précédentes. « On ne pouvait pas chanter, y avait la ferme, les enfants, tout l’ouvrage à la main, jamais pensé là-dedans ». Il lui arrive cependant de chanter une chanson à l’occasion dans un mariage ou au « club des anciens »  que fréquente son mari depuis son départ en retraite… Clémentine cessera, elle, son activité en 1989, à l’âge de soixante trois ans. Une autre « carrière » s’annonce.

La rencontre avec Mathieu Hamon

En effet ses interventions chantées au club des anciens ont été remarquées par d’autres chanteuses, notamment Marie-Françoise Chauvin, et  chanteurs, dont Hubert Bougoin, du pays, qu’un jeune chanteur collecteur, Mathieu Hamon a déjà rencontrés. Ceux-ci ne manquent pas de lui indiquer qu’à Avessac, une certaine Clémentine paraissait avoir une belle voix et un beau répertoire. La rencontre se fait il y a vingt-cinq ans, en 1990, Mathieu avait dix-huit ans. Le charme opère tout de suite. La première journée est fructueuse et Clémentine chante 25 chansons.

Un répertoire de plus d’une soixantaine de chansons apparaît rapidement, toutes d’excellente facture, porté par une chanteuse qui le maîtrise parfaitement. Tout de suite, Clémentine répond favorablement aux nombreuses sollicitations qui ne manquent pas d’arriver, d’abord par Mathieu, puis d’autres, et va participer désormais régulièrement aux veillées de chant, sélections pour la Bogue d’Or et autres animations en maison de retraite. Quelques enregistrements d’elle figurent bientôt sur différentes publications sonores, dont le CD « Grandes complaintes de Haute-Bretagne » coédité en 1998 par le Chasse-Marée/ArMen, le GCBPV, Dastum 44 et La Bouèze. D’autres chanteurs-collecteurs vont continuer d’aller la voir, ponctuellement ou plus régulièrement (Robert Bouthillier, Charles Quimbert, Agnès Simon…), aidant Clémentine à exhumer de sa mémoire plus de 120 chants différents !

Répertoire et style

Parmi ces 120 chansons, on trouve une trentaine de chansons de marches « à la dizaine », genre très prolixe dans le sud et l’ouest du pays gallo, et notamment dans le pays de Redon. On trouve aussi quelques exemples de formulettes chantées (pour ribotter le beurre, ou pour Carnaval…), ou de petits chants destinés à soutenir des danses comme l’avant-deux.

Mais la plus grande partie du répertoire est constituée de chansons à textes, dont quelques-unes sont à répondre, mais dont la majorité sont des complaintes ou des mélodies chantées en solo. Le timbre de voix, grave et chaleureux, le phrasé de Clémentine font véritablement merveille sur ce genre de répertoire. On y trouve de grands classiques de la chanson francophone (Les métamorphoses, Dessous les lauriers blancs, La mort du porte-enseigne…), mais aussi un bon nombre de chansons très connues dans le pays vannetais gallo et très rarement attestées ailleurs (L’épine noire, À ta santé bouquet de roses, C’était par un beau clair de lune…)

Vincent Morel et Charles Quimbert
Article paru dans la revue Musique Bretonne n°245
Article publié sur : Bécédià

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