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1918 : le retour du mouvement

C’est par un retour au mouvement, tant du point de vue des opérations militaires que de l’afflux des réfugiés, que s’effectue la première étape de l’entrée en paix. De manière très paradoxale, celle-ci se caractérise d’abord par un recul massif des Alliés, du fait de coups de boutoirs prononcés par l’Allemagne au printemps 1918.

Après des années de combats dans les tranchées, la réapparition du mouvement, ce que l’on nomme aujourd’hui l’open warfare, se double d’un déchaînement de violence industrielle : l’artillerie, les mitrailleuses mais aussi les tanks, l’aviation, les lance-flammes et plus encore sans doute les gaz disent l’horreur de cette année 1918. Mais les offensives allemandes se révèlent en réalité ne constituer qu’un ultime baroud d’honneur, prélude d’une inexorable remontée des troupes franco-britanniques revigorées par le corps expéditionnaire américain qui commence à peine, à l’été 1918, à donner la pleine mesure de ses capacités.

 

L’offensive de l’Empereur

Depuis 1917, la Russie est emportée par un douloureux et complexe processus révolutionnaire aboutissant à son retrait du théâtre des opérations. Ne combattant désormais plus que sur un seul front, et disposant d’une supériorité numérique temporaire de 300 000 hommes, l’Allemagne sait que le printemps 1918 constitue une opportunité sans pareil de revenir à la guerre de mouvement et, au final, d’emporter la Victoire.

Transport d’un obusier « Grosse Bertha ». Gallica / Bibliothèque nationale de France.

Transport d’un obusier « Grosse Bertha ». Gallica / Bibliothèque nationale de France.

 

L’offensive dite de l’Empereur est lancée le 21 mars 1918 par l’Allemagne. Elle permet de rompre le front en Picardie et est immédiatement exploitée par d’autres assauts allemands. De petites troupes de choc (Stosstruppen) ou d’assaut (Sturmtruppen) constituées de soldats aguerris évoluent de manière quasi autonome sur le champ de bataille. Leur équipement redoutable se compose de grenades mais aussi de lance-flammes terriblement efficaces. Les Allemands commencent aussi à bombarder Paris, le 23 mars 1918, à l’aide de leur fameuse Grosse Bertha, canon gigantesque de 750 tonnes qui envoie, entre mars et août 1918, 367 obus sur la capitale et sa proche banlieue.

Essai de lance-flammes au bois de Vincennes, juin 1917. La Contemporaine: VAL 405/031.

 

L’afflux de réfugiés

Cette avancée des troupes allemandes impacte directement le pays de Montfort en étant à la source d’une nouvelle vague de réfugiés. C’est ainsi par exemple que, le 8 avril 1918, le maire de Bédée affirme s’apprêter à recevoir 4 nouveaux réfugiés en provenance des départements ré-envahis par la progression des troupes allemandes. Mais à la différence de 1914, l’accueil est cette fois-ci beaucoup plus réservé, comme l’explique de manière très explicite le maire de Saint-Gonlay au sous-préfet de Montfort:

« J’ai l’honneur de vous informer que la commune de Saint-Gonlay qui a 572 habitants a eu pendant près de trois ans 32 réfugiés belges. A leur arrivée les habitants avaient prêté à ces réfugiés la literie nécessaire ; à leur départ les Belges ont emporté tout ce qui leur avait été prêté de sorte qu’il serait absolument impossible de trouver auprès des habitants une nouvelle literie pour recevoir d’autres réfugiés. Au cas où Monsieur le Préfet mettrait d’office des évacués dans la commune de Saint-Gonlay, je lui serais très obligé de vouloir bien me faire obtenir de la literie militaire pour recevoir ces malheureux. »

Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : 2 Z 166, le Maire de Saint-Gonlay au sous-préfet de Montfort, 8 avril 1918.

Dans ces conditions, il n’y a sans doute rien d’étonnant à ce que, dans la continuité d’une année 1917 qui fut celle des fléchissements du dévouement patriotique, on observe au début de l’année 1918, quelques refus de guerre de la part des soldats. C’est ce que rappelle l’exemple de ce « domestique de ferme » né en 1898 à Iffendic. Incorporé le 2 mai 1917 au 70e RI de Vitré, il profite d’une hospitalisation à Rennes, à la suite d’un problème dentaire, pour déserter. Trouvant à s’employer chez une cultivatrice « à Ville-Jean, commune de Rennes », il est découvert à la suite d’une sombre affaire de vol. Réincorporé, il est envoyé au front en octobre 1918 puis est affecté dans les bataillons d’Afrique – des unités disciplinaires – au Maroc pour n’être rendu à la vie civile qu’en juin 1920. Mais comment comprendre cela ? Faut-il y voir la manifestation d’un refus de contribuer à « l’impôt du sang », d’une passagère erreur de jeunesse, ou au contraire d’une certaine marginalité sociale comme pourrait le suggérer cette affaire de vol ?

Poilu portant un masque à gaz (juillet 1916). La Contemporaine: VAL 433/143.

Les armes chimiques

Si la première attaque aux gaz date d’avril 1915 (ce sont des soldats bretons de la 87e division d’infanterie territoriale qui en sont d’ailleurs les victimes), 1918 est véritablement l’année de ces armes chimiques. Au cours des dernières semaines du conflit, près d’un quart des munitions d’artillerie contiennent des substances toxiques. Très tôt les différents belligérants savent s’en protéger et mettent au point des masques toujours plus perfectionnés. Ceux-ci sont extrêmement pénibles à porter et provoquent parfois des crises de panique, par peur d’étouffement ou par claustrophobie.

Chevaux équipés de masques à gaz par un soldat britannique. La Contemporaine: VAL 308/164.

Pourtant, sur le plan statistique, la place des gaz est sans commune mesure avec l’empreinte qu’ils laissent dans la mémoire : 20 000 morts et 495 000 blessés, chiffres à comparer aux 8 millions de morts et 23 millions de blessés de l’ensemble du conflit. En réalité, ces armes chimiques blessent plus qu’elles ne tuent, dans un premier temps du moins. En effet, nombreux sont les anciens combattants à mourir dans les années 1920 et 1930 des suites de maladies pulmonaires. Entrer en paix, c’est donc bien souvent devoir composer avec les suites de blessures contractées entre 1914 et 1918.

 

Un lourd bilan humain

L’année 1918 n’est pas la plus meurtrière du conflit. Ce n’est pas à Verdun ou sur la Somme que l’armée française enregistre les plus lourdes pertes mais lors des trois premiers mois de la guerre, entre août et octobre 1914. Mais le fait est que 1918 est plus coûteuse que l’année précédente sur le plan humain : 223 300 morts et disparus contre 163 700 en 1917.

Le pays de Montfort n’échappe pas à cette réalité et chaque commune déplore de nouvelles victimes en 1918.

Léon Boisgerault. Archives municipales de Bédée.

Léon Boisgerault est originaire de Pleumeuleuc, mais il exerce le métier de « domestique » à Bédée. Incorporé en février 1915, il est « tué à l’ennemi » le 29 septembre 1918 au Mont sans nom, dans la Marne.

 

Le 31 octobre 1918, l’hôpital temporaire n°5 de Salonique, dans le nord de la Grèce, informe la mairie de Bédée de la mort d’Ernest Chilou, soldat de 2e classe affecté à la compagnie de mitrailleuses du 2e bataillon de marche indochinois. Âgé de 24 ans, ce cultivateur né à Pleumeuleuc est incorporé dès septembre 1914, d’abord au 124e RI de Laval, puis aux 54e, 35e, 242e et 171e RI, avant, enfin, d’être affecté à ce 2e bataillon indochinois le 28 octobre 1918. Déjà blessé en juin 1916, il expire à des milliers de kilomètres de chez lui, dans cet Orient qu’il découvre en octobre 1918.

Ernest Chilou. Archives municipales Bédée.

 

Acte de décès d'Ernest Chilou. Archives municipales de Bédée.

Acte de décès d'Ernest Chilou. Archives municipales de Bédée.