Si les discours insistent très largement sur les nécessités qu’il y a à se placer « au-dessus des partis » pour faire face aux enjeux du moment, les pratiques, elles, entonnent une autre partition.
Si les discours insistent très largement sur les nécessités qu’il y a à se placer « au-dessus des partis » pour faire face aux enjeux du moment, les pratiques, elles, entonnent une autre partition. L’Allemagne continue d’obséder tandis que le « péril rouge », rendu encore plus manifeste par la Révolution russe, fait de plus en plus peur. C’est là non seulement le signe d’une société qui parait de plus en plus fracturée, notamment entre les villes et les campagnes, mais également l’indice d’une certaine permanence.
Avant toute chose: l'union
« L’union, aujourd’hui, est une nécessité. La France est perdue si l’union n’est pas réalisée. En face des problèmes de toutes sortes, et si graves, que posent la crise des transports, la vie chère, les embarras d’ordre financiers et économiques auxquels nous sommes en proie, en face du budget à équilibrer, du travail de relèvement qu’il nous faut poursuivre, l’heure n’est plus, vraiment, aux divisions et aux querelles. Nous avons à faire payer l’Allemagne. Nous avons à obtenir l’aide de nos Alliés. Ce n’est pas le moment d’affaiblir nos propres forces, au contraire ! »
A la fin du banquet donné le 4 novembre 1923 à l’occasion de l’inauguration du monument aux morts de Montfort, le maire, Emile Beauchef, affirme que « si la France victorieuse est profondément attachée à la paix, elle entend ne pas permettre à l’Allemagne vaincue de se dérober frauduleusement à la foi des traités ». Invoquer l’Union sacrée, c’est donc célébrer l’unité quelque peu mythifiée de l’été 1914 pour en réalité mieux se plonger dans les défis de l’après-guerre.
Affiche. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.
Emile Beauchef
Elu maire de Montfort en 1908, Emile Beauchef est mobilisé dès le 2 août 1914. Il n’est pas affecté au front mais dans divers services de l’Intendance, à Rennes puis à Paris et enfin à Saint-Denis. Sans doute que cette campagne à l’arrière s’explique par le fait qu’il est déjà âgé de 47 ans au moment où le conflit éclate.
Démobilisé en mars 1919, il est de suite repris par la vie politique. Suspendue par la guerre et le discours d’Union sacrée, celle-ci repart dès le second semestre 1919 avec une intense séquence électorale : élections législatives, municipales et cantonales. Puis viennent s’ajouter les sénatoriales, il est vrai uniquement réservées aux grands électeurs, en janvier 1920.
Candidat à sa réélection à la mairie de Montfort mais aussi au Conseil général d’Ille-et-Vilaine, Emile Beauchef est donc confronté à une intense rentrée politique. Certaines voix s’élèvent d’ailleurs pour dénoncer une campagne qui commence trop tôt : les poilus ne sont pas encore tous rentrés et les femmes n’ont toujours par le droit de vote.
Affiche. Collection particulière.
Le pays de Montfort reprend avec la fin de la guerre le fil de certaines oppositions. C’est ainsi par exemple qu’en septembre 1923, les organisateurs du comice agricole du canton de Montfort, qui se déroule cette année-là à Iffendic, décident « qu’en dehors des Représentants du Gouvernement, des Membres du Bureau du Comice, des experts des Commissions y compris les professeurs d’Agriculture et des Maires du canton, il ne sera pas fait d’invitation, et nul ne pourra prendre la parole au banquet ».
Et L’Ouest-Eclair, qui rapporte la nouvelle dans ses colonnes d’approuver :
« Dans trop de comices les estrades de distribution ou les salles de banquet ont dégénéré en tribune électorale : où on y parlait de tout sauf d’agriculture. Il est donc préférable qu’il en soit ainsi. »
De manière insidieuse, se creuse entre 1914 et 1918 un écart grandissant entre les campagnes et les villes. Celles-ci sont en effet plus ou moins explicitement suspectées de constituer des repères d’embusqués, ces hommes qui échappent aux tranchées en occupant un poste « essentiel » à l’arrière. Cela se conjugue bien souvent avec une dénonciation des « marchands de canons » et autres « profiteurs de guerre », essentiellement urbains qui, selon certains discours, auraient provoqué le conflit avec l’Allemagne pour écouler leurs marchandises et réaliser sur le dos des poilus, et donc des habitants des campagnes, de substantiels bénéfices.
Régler la note
Entrer en paix nécessite de régler la note du conflit, le nerf de la guerre pesant encore gravement dans les années 1920 sur la situation budgétaire de la France.
Dans le pays de Montfort comme ailleurs en France, on souscrit volontiers aux différents emprunts nationaux. A Iffendic, c’est même le Conseil municipal qui y souscrit, au nom de la commune, à l’automne 1918. En d’autres termes, ce sont bien les poilus et leurs familles qui, en plus de l’exorbitant impôt du sang, sont les créanciers du pays.
Affiche pour le 4e emprunt de la Défense nationale dit de la Libération, lancé en 1918. Affiche réalisée par le publicitaire Georges Goursat, dit Sem. Archives BNP Paribas.
Inflation galopante, rendement moindre des obligations et emprunts d’Etat ou encore crise de la monnaie constituent la situation économique d’alors. La situation est devenue telle que Raymond Poincaré, devenu président du Conseil en 1926 adopte un drastique plan d’austérité budgétaire conduisant à la suppression de nombreuses institutions publiques et à la dévaluation du franc des 4/5e de sa valeur en 1928.
Affiche. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 10 M 80.
La disparition de la sous-préfecture de Montfort
L’hôtel Juguet, actuel siège de Montfort Communauté, est construit avant la Révolution. Il devient sous-préfecture en 1857. La mesure la plus emblématique de la cure d’austérité française de ces années 1920, à l’échelle du pays de Montfort, est assurément la disparition de la sous-préfecture. Entérinée par un décret-loi de 1926, cette suppression ne suscite aucune opposition, jugée inévitable par les contemporains.
Carte postale. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.
Montfort n’est pas une exception. A l’échelle française ce sont 227 tribunaux de première instance, 318 prisons et 106 sous-préfectures qui sont supprimés.