Pour rendre compte de l’évolution des territoires plantés de haies, nous avons choisi d’étudier la commune de Parthenay-de-Bretagne. Celle-ci couvre une superficie de moins de 500 ha et est située à 25 km à l’ouest de Rennes. Trois années de référence ont été arrêtées pour illustrer nos propos : 1850, 1952 et 2004. D’emblée, l’analyse est malaisée à mener car l’aspect des boisements linéaires s’est modifié tout au long de la période considérée. Aussi, sera-t-il utile de définir l’objet numérisé. La lisibilité variable des supports cartographiques – cadastres napoléoniens, photographies aériennes (noir/blanc), orthophotographies (couleurs) – fragilise également notre argumentaire. Par conséquent, il s’agira de prendre les résultats avec tolérance.
fig.1 - Archives d'Ille-et-Vilaine
En 1850, les campagnes étaient, au regard de la carte (fig. 1), intensément plantées de haies. Presque toutes les parcelles étaient bordées d’espèces ligneuses. L’exiguïté du parcellaire explique la densité du maillage : près de 240 mètres de haies par hectare. En cela la situation décrite est assez surprenante. Dans de nombreuses publications, il est soutenu que la densification du bocage s’est opérée plus tardivement (1890-1920). Compte tenu de la forme déjà aboutie du réseau de haies, nous avons peine à valider ici l’hypothèse.
Les figurés que nous retrouvons aux limites des propriétés (fig. 2) indiquent bel et bien l’existence de structures végétales sans malheureusement en dresser une typologie. Combien, sur les 114 km de haies présentes en 1850, sont à l’image de celles que nous rencontrons aujourd’hui dans la région ? Difficile de le dire… mais en tout état de cause, il est certain qu’imaginer uniquement le bocage comme un paysage constitué de haies plantées d’arbres de hautes tiges avec des arbustes assurant le remplissage est une grossière erreur. Les travaux des historiens le confirment.
fig. 2 - Archives d'Ille-et-Vilaine
Le maillage des haies nous fournit également des indications sur la nature du parcellaire (fig. 1). Dans la moitié Nord-Est de la commune, nous relevons des parcelles très laniérées probablement le fait d’un émiettement des propriétés. La moitié Sud-Ouest présente en revanche des unités de culture de taille importante, de formes plutôt rectangulaires aux contours bien dessinés. Le constat est surtout perceptible dans l’extrême Sud de la carte, siège d’un ancien manoir (cf. : point rouge). L’organisation du parcellaire et par voie de conséquence celui du maillage de haies, porte bien la marque d’un système social spécifique. Les terres gérées par les grands propriétaires fonciers ont en effet beaucoup moins de chance de produire un réseau dense, chose ordinaire quand elles sont entre les mains de modestes paysans. De plus, il est fort à parier que le mode de gestion des boisements soit très différent : futaies pour les uns, têtards et haies basses pour les seconds.
Entre 1850 et 1952, la densité du bocage a fortement diminué (fig. 1). Plus de 40 % des haies ont disparu du paysage, soit un recul d’environ 465m/an. Cela dit, la trame bocagère a conservé sa cohérence car les destructions procédaient d’agrandissements de parcelle. Logiquement nous retrouvons la dualité : moitié Nord-Est, boisée, et moitié Sud-Ouest de bocage lâche. Dans l’extrême Est de la commune, la structure bocagère a, semble-t-il, davantage souffert. Non seulement il y a eu des coupes massives, mais la qualité générale du réseau s’est dégradée. Beaucoup de haies sont dorénavant discontinues. À l’échelle de la commune le phénomène demeure marginal : il ne concerne que 6,1 % des boisements (tableau).
Dans la mémoire collective, la destruction des paysages traditionnels coïncide avec la politique d’intensification des pratiques agricoles mise en œuvre au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette vision est manifestement excessive… puisque, dans le cas étudié, il est indiscutable que l’abattage des haies inter-champs se pratiquait déjà au début du siècle dernier.
La vigueur avec laquelle les autorités compétentes et une partie de la profession agricole ont encouragé, à partir de 1950, la refonte du parcellaire est l’origine d’une transformation historique des paysages (fig. 3). Bien que Parthenay-de-Bretagne n’ait pas été le terrain d’aménagement foncier – ce qui évidemment ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu des échanges amiables entre propriétaires –, environ 60 % des haies ont disparu. Et parmi les 40 % encore en place, près d’un quart se trouvent dans un état dégradé. Cet état, s’il n’est pas irréversible aux abords des exploitations, présage d’une disparition prochaine dans les champs.
La répartition des destructions est tout aussi riche d’enseignements. À la différence de la précédente période, les haies situées le long des chemins et des routes ont été davantage arasées (-68,0 % contre -24,8 %). Enfin, nous remarquons un recentrage des boisements en périmètre des sièges d’exploitation. La situation résulte de deux processus : la poursuite des abattages des haies inter-champs et la conservation, la restauration voire l’installation de boisements linéaires aux abords des fermes. Au-delà des statistiques, la numérisation du bocage qui, sans doute, dans sa définition stricte ne correspond plus aux paysages de la commune, met en évidence une totale déstructuration du maillage de haies.
Evolution et répartition spatiale des haies |
1850 | 1952 | 2004 | |
Haies continues | Inter-champs | 70,3 | 60,0 | 61,7 |
Chemins/routes | 29,7 | 40,0 | 38,3 | |
Siège d'exploitation | 8,8 | 14,6 | 39,9 | |
Champs | 91,2 | 85,4 | 60,1 | |
En m | 11 4594 | 62 984 | 20 786 | |
Haies d'arbres épars | Inter-champs | n-c | 74,0 | 84,9 |
Chemins/routes | n-c | 26,0 | 15,1 | |
Siège d'exploitation | n-c | 13,9 | 10,9 | |
En m | n-c | 4 087 | 6 378 | |
Total | En m | 114594 | 67071 | 27164 |
En un siècle et demi, le paysage campagnard de Parthenay-de-Bretagne s’est largement ouvert : 76,3 % des haies ont été détruites et non-remplacées. D’un bocage dense en 1850, c’est-à-dire près de 240m/ha, nous sommes face à un territoire, certes planté de haies (57m/ha), mais qui, excepté les fonds de vallée et les périmètres des sièges d’exploitation, est peu pourvu d’arbres. Ceci a été le point de départ de notre recherche et son enjeu : préciser comment les agriculteurs, partie prenante de ces changements, les ont intériorisés dans leur production de paysages.
Samuel Périchon
labo ESO, Université Rennes 2,
Ce géographe a soutenu une thèse en 2003 sur l'évolution du bocage
vue par trois générations d'agriculteurs, qui a ouvert la polémique
sur l'efficacité des campagnes de replantations en Bretagne. Il poursuit
ses recherches sur la dynamique des paysages arborés (bocage, forêt)
et des relations société/territoire.