7.1

Les modes de conduite des haies

La haie, espace de production

« On a rien sans rien »

Une taille régulière et un élagage suivi expliquent la qualité des fûts présents dans cette haie agricole. L’auto-éducation sous l’effet de la seule compétition entre les végétaux ne donnerait pas des baliveaux aussi francs et répartis régulièrement que ceux qui attendent de remplacer les arbres mûrs à récolter. Photographie : Alain Amet

Lieu propice à produire du bois, la haie offre des avantages indéniables par rapport aux autres milieux telle la forêt, en raison d’atouts particuliers :

  • le terrain est généralement plus riche, du fait de l’usage agricole qui la jouxte et qui se traduit par des apports d’éléments fertilisants en polyculture et d’amendements naturels dans les secteurs d’élevage ;
  • les sols sont plus profonds, dans la mesure où la haie est généralement implantée sur talus ;
  • elle jouit d’une meilleure réserve en eau dans le cas habituel de la haie associée à un système talus/fossé faisant à la fois office de drain en période d’excès d’eau et de réserve hydrique en saison sèche ;
  • elle offre une croissance libre* aux arbres de futaie qui bénéficient d’un espace optimisé et d’une faible compétition entre eux.

C’est lors de sa floraison spectaculaire, au mois de juin, que s’affirme l’omniprésence du châtaignier dans le bocage haut-breton. Photographie : Marc Rapilliard

Ces avantages sont toutefois contrebalancés par plusieurs facteurs défavorables :

  • absence relative « d’ambiance forestière » dans les haies, à la différence des bois : les arbres ont à souffrir du vent, du dessèchement, du fort ensoleillement, d’un gel plus intense…. Ils ont toutefois la possibilité de compenser partiellement ces effets néfastes grâce à la stratification de la végétation dans le cas de haies arborées denses avec présence d’un sous-étage arbustif, et surtout dans le cas d’un maillage bocager encore serré qui tempère ces contraintes.

En raison du milieu ouvert, les arbres adoptent un port libre qui se traduit par des houppiers* développés surplombant un fût* court. Là encore, le gainage arbustif peut contribuer à améliorer les choses. C’est pourquoi les haies bocagères créées artificiellement s’inspirent des modèles naturels à végétation étagée.

Le plessage des haies consiste à plier les branches pour les tresser, afin de constituer une clôture vivante. Il faut imaginer que la repousse est rapide quand les arbres sont en bonne santé, et qu’ils fournissent des fagots à chaque reprise, tous les six ans. Dessin : Thomas Schmutz

 

Le mode de conduite des haies de clôture

L’enclos pour le bétail a constitué, de longue date, une préoccupation pour les éleveurs. Avant l’emploi du fil de fer barbelé ou de la clôture électrique, la haie arbustive de type défensif était le mode répondant le mieux au confinement des animaux domestiques. Elle est composée d’un rideau bas d’épineux comme l’aubépine ou le prunellier épineux poussant drus. Elle s’est imposée dans de nombreux bocages, pas seulement en France mais aussi en Angleterre ou en Irlande. Dans certaines contrées d’élevage ovin notamment, on avait même coutume de tresser entre elles les pousses des arbustes pour créer un entrelacs infranchissable : cette pratique remontant au Moyen-âge perdure toujours en Cornouaille anglaise et au pays de Galle : on l’appelle le plessage. L’origine gaëlique de ce mot qui signifie « tresser » a laissé de nombreuses empreintes dans la toponymie française qui comporte bien des lieux où figurent les mots « plesse » ou « plessis » attestant l’emploi répandu de cette technique un peu partout dans le pays. Quelques passionnés, pour faire revivre une tradition ancestrale, continuent de l’employer en Avesnois, dans les Flandres, le Perche, la Normandie, le Morvan… Les végétaux les plus divers se prêtent à cette éducation : noisetier, hêtre, charme, pousses de chêne constituent ainsi un canevas serré qui supplée à l’absence d’épines et retient efficacement le bétail.

Photographie : Alain Amet

Photographie : Alain Amet

Vestiges de haies basses plessées de frêne et d’érable champêtres sur les prairies St Martin à Rennes.

Type de haie peu employé dans le bassin rennais où la polyculture traditionnelle a vite supplanté l’élevage extensif, on ne trouve plus guère de haies arbustives denses que sur ses marges lointaines. Dans le sud de l’Ille-et-Vilaine, sur les terrains superficiels de schiste ardoisier qui limitent la possibilité de voir les grands arbres s’y développer, elle est encore courante (La Bosse-deBretagne, Teillay, Ercé-en-Lamée…). Mais dans bien des cas, le souci d’avoir dans la haie autre chose qu’une végétation sans valeur a conduit à proposer d’autres déclinaisons combinant à la fois un sous-étage arbustif et un étage plus ou moins lâche d’arbres traités tantôt en haut jet*, tantôt en cépées*. C’est cette conduite mixte qui, partout en Bretagne, a eu tendance à s’imposer pour répondre au double besoin de production de bois et d’enclos pour le cheptel.

Le mode de conduite des haies pour la production de bois de feu

La ragosse au contraire, ne développe une tête qu’à la fin de sa vie, et fournit exclusivement des repousses latérales plus grêles, utilisables uniquement en fagotage si on respecte le cycle traditionnel de neuf ans. Dessin : Thomas Schmutz.

C’est la fonction la plus facile à remplir, dans la mesure où elle ne requiert aucun travail éducatif en vue de produire du bois de qualité : il suffit de laisser pousser les arbres et de récolter ceux qui arrivent au calibre souhaité. Encore faut-il le faire sans risquer d’appauvrir l’écosystème, c'est-à-dire en assurant une capacité de renouvellement permanent de la végétation. C’est le traitement en taillis* ou l’émondage* des arbres (création de ragosses) qui répondent le mieux aux besoins de bois-énergie. Dans l’un et l’autre cas, on stimule la repousse des arbres par le biais de la reproduction non sexuée, dite végétative, en recépant* les arbres dans l’exemple du taillis, en les étêtant dans celui des têtards qu’on appelle ragosses dans la région : la coupe provoque soit des rejets* à partir de la souche dans le premier cas, soit un foisonnement de branches sur le fût et la production de rejets aussi au niveau où le tronc a été étêté. Les sujets qui reçoivent ce traitement se renouvellent par le biais de cette coupe.

La conduite d’une ragosse à partir d’un baliveau nécessite de laisser une tête au jeune arbre pour qu’il s’élance vers le ciel (le fameux tire-sève) sans quoi on forme un têtard dont le tronc ne s’allongera plus. Les photos anciennes montrent des ragosses jeunes et élancées, pour fournir un maximum de branches latérales, répondant aux besoins de l’époque. Par contre sur des ragosses âgées, le tire-sève contribue à affaiblir l’arbre. Photographie : Marc Rapilliard

Ce têtard de chêne se distingue d’une ragosse par un fût court qui favorise la repousse d’un houppier ample constitué de puissantes branches comparables à des rejets de souche, un peu comme un taillis perché. Photographie : Marc Rapilliard                                                                                                                                                                                                                             

Les ragosses ont joué un grand rôle dans le contexte agricole du bassin de Rennes, permettant tout à la fois de maintenir le bocage en place et de concilier un mode agricole en pleine mutation : avec ce type de conduite de l’arbre, on alliait toutes les fonctions de la haie (conservation de la matérialisation du parcellaire, production de bois) sans entraver un écosystème propice aux animaux d’élevage et surtout en limitant l’emprise des arbres sur les terres cultivées.

Le mode de conduite des haies pour la production de bois de service

Les cépées sont issues de la coupe des troncs au ras du sol, à partir desquelles se forment des repousses issues de rejets ou de drageons. La coupe rase pérennise le système, si la fréquence n’est pas trop rapprochée dans le temps. Elle n’épuise pas la souche qui va produire des tiges droites et vigoureuses. Dessin : Thomas Schmutz

Il est fréquent, dans le monde rural, d’avoir besoin de bois pour la construction ou la rénovation des bâtiments : perches, pilotis, poutres trouvent ici leur emploi.

Par ailleurs, l’entretien des clôtures et aussi l’aménagement du potager et des annexes sont consommateurs de rames, piquets, échalas et autres tuteurs.

Face à ces usages courants, il s’est avéré que le traitement mixte répondait parfaitement à ce double enjeu : 

-        taillis pour les arbres à croissance rapide et aptes à rejeter de souche, afin de produire des perches de tous calibres et du bois de chauffage. Le châtaignier, outre son intérêt en qualité d’arbre à fruits appréciés par l’homme et par le bétail, correspond parfaitement à ces usages multiples ;

-        futaie* pour les essences à usage de bois d’œuvre courant. N’oublions pas que, il y a peu de temps encore, les paysans devaient trouver une quasi-autarcie sur leur domaine. Les meubles aussi étaient fabriqués le plus souvent sur place par des professionnels qui choisissaient dans les haies les pieds d’arbres les plus aptes à la destination projetée. Parmi les essences du bocage réservées à ces usages, le chêne pédonculé, essence emblématique du bocage rennais, était employé en charpente et construction mais aussi en menuiserie (escalier et mobilier). Le châtaignier, abondant sur les limites du bassin de Rennes, était traditionnellement conduit en taillis dans le secteur sud alors qu’on le menait davantage en futaie dans le secteur nord où il alimentait un artisanat florissant qui s’est localement maintenu.

Bien entendu, les sujets d’essences précieuses comme les divers fruitiers sauvages (merisier, cormier, alisier, poirier), mais aussi les ormes ou les frênes étaient repérés, dégagés et éduqués aux fins de produire du bois d’œuvre.

Quelques conseils d'usage pour la gestion des haies taillis et des haies ragosses

Le recépage est une coupe qui a pour but de stimuler un arbre. Sur un sujet de moindre vigueur, il est préférable de le recéper au pied pour lui redonner du dynamisme. Dans le cas contraire, si on ne le coupe pas à la base en conservant un tronc, on contribue à l’épuiser davantage car on le contraint à nourrir des gourmands* et des rejets disposés tout le long du fût conservé : c’est l’une des raisons du déclin des ragosses d’autant que, avec les nacelles à disposition, on a tendance à les écimer de plus en plus haut là ou au contraire il ne faudrait pas hésiter à les rabattre sévèrement.

Autre précaution utile : pour voir rejeter activement une souche, il faut qu’elle dispose d’espace vital suffisant. Si la haie concernée est chargée d’arbres de haut jet qui surplombent les souches, la faculté à rejeter des essences en place peut s’en trouver affectée : ceci est particulièrement vrai pour les essences dites de pleine lumière comme les chênes, le robinier, le tremble, le merisier, le cormier par exemple. Les essences de demi-lumière, qui supportent une ombre portée momentanément s’accommoderont d’un léger couvert : c’est le cas du châtaignier, de l’alisier et du frêne. Enfin les essences d’ombre comme le hêtre ou le charme persisteront mieux sous un couvert dense. Rappelons que la haie reçoit un éclairement latéral important, sans commune mesure avec les conditions forestières plus confinées et c’est la raison pour laquelle, dans la plupart des cas, le taillis est en mesure de rejeter correctement même en présence de grands arbres.

Mode de conduite des haies pour la production de bois d'œuvre

La formation consiste à élaguer progressivement les branches latérales pour favoriser la croissance d’un fût bien droit apte à donner de belles planches ou de belles poutres (bois d’œuvre). Dessin : Thomas Schmutz

La qualité produite est en étroite relation avec le niveau d’éducation naturelle et artificielle dont les arbres ont bénéficié. La croissance des essences y est nettement supérieure à celle des arbres poussant en forêt et les cycles de production y sont de ce fait raccourcis d’un bon quart. Il est toutefois exceptionnel, en raison des particularités du contexte du bocage (milieu ouvert, compétition faible…), de produire dans les haies des arbres de très grande valeur : la qualité tranchage est exceptionnelle et la proportion des bois d’ébénisterie souvent réduite. C’est d’ailleurs dans cette gamme que les soins apportés aux arbres sont en mesure de faire évoluer significativement la part très valorisante de ce type de qualité. Quoi qu’il en soit, la haie est parfaitement apte à produire du bois d’honnête qualité menuiserie.

La production de bois d’œuvre se concentre sur des billes courtes mais trapues : ce qu’on perd en longueur par rapport à un contexte forestier favorable à l’élongation des fûts, on le regagne en diamètre ou en temps de production. Et si les produits ne se situent pas en général dans le haut de gamme, ils correspondent à des catégories que le marché artisanal continue à apprécier et à rechercher.

Ce superbe charme atteint une vingtaine de mètres, avec un fût bien droit d’une dizaine de mètres. Cette essence a pourtant tendance à former des branches latérales si bien qu’on la cantonne trop souvent au rôle de « charmille » en rabattant systématiquement les arbres. Une taille suivie, ainsi que l’indispensable concurrence de ragosses plus basses - aujourd’hui disparues 6 ont donné un bois de qualité, exploitable en scierie. Photographie : Alain Amet

Il est important de souligner que la production de bois d’œuvre dans les haies ne se fait pas au détriment des autres produits envisageables tels que piquets, perches, bois de chauffage qui constituent des débouchés complémentaires ou une récolte intermédiaire qu’il n’y a aucune raison de mépriser. Chaque mètre cube de bois d’œuvre produit implique deux à quatre fois ce volume à partir des petits bois d’éclaircie ou des houppiers des arbres de haut jet.