La fonction de production des haies n’est pas incompatible avec les services environnementaux qu’elles rendent par ailleurs. Bien au contraire, cette capacité d’une haie à générer de la richesse (bois de feu, bois de service ou bois d’œuvre) conditionne les efforts d’entretien qui accompagnent une production sans laquelle leur pérennité serait remise en cause.
La gestion des haies est une nécessité car, comme tous les êtres vivants, les végétaux qui les composent naissent, croissent et meurent. Ce phénomène étant inéluctable, l’homme doit veiller au bon entretien de cet écosystème. Bien entendu, les interventions humaines dans la haie doivent répondre aux préoccupations de la gestion durable qui se résument au triple principe d’une récolte raisonnée, du maintien de la biodiversité et d’un effort continu de régénération.
On distingue ainsi plusieurs temps forts qui rythment la croissance des haies arborées :
- celui de la plantation (ou de la régénération naturelle) qui comprend cette phase proprement dite et celle des dégagements durant les premières années où les arbres s’installent. Les interventions doivent être les plus extensives possibles pour ne pas contrarier les processus de colonisation naturelle qui se mettent en place parallèlement. L’éducation des arbres destinés à la production de bois d’œuvre succède aux dégagements et comporte deux opérations aussi distinctes qu’essentielles : les tailles de formation* et les élagages*, travaux qui se suivent dans le temps sur des arbres de trois à douze ans environ. Ils visent à former un axe de quatre à cinq mètres qui constituera, à terme, la grume* de bois d’œuvre commercialisable. Il est important de signaler que ces opérations accompagnent le développement de l’arbre, c’est à dire qu’on ne peut ni les anticiper pour essayer de prendre de l’avance, ni les différer pour traiter le problème en une seule fois sans de graves conséquences sur la vitalité des sujets ou la qualité future du bois.
- celui de l’éclaircie qui s’effectue dans le cas des haies densément arborées, où il faut diminuer la concurrence vitale entre les arbres, pour optimiser le grossissement des meilleurs individus. C’est aussi le cas des haies composées de cépées* dans lesquelles on souhaite favoriser un seul rejet sur chacune des souches avec l’objectif de produire des grumes. Cette opération particulière d’éclaircie s’appelle balivage : elle est très classique avec le châtaignier et continue à se pratiquer encore activement dans le nord de l’Ille-et-Vilaine, lorsque subsiste le tissu des petites scieries ou des entreprises artisanales dépendantes de ce type de ressource en bois.
- celui de la récolte qui est évidemment concomitant à la régénération, dans le cadre du principe de la gestion durable. Le bois est un matériau renouvelable, à condition de le gérer en « bon père de famille ». À cet égard, il est indispensable d’effectuer les récoltes d’arbres à maturité : leur exploitation libère de l’espace qui sera mis à profit par la régénération naturelle dont les semis, les rejets et les drageons* sauront tirer parti. La récolte est donc un acte de gestion normal. Elle ne s’apparente à un pillage que si on prélève plus que l’accroissement biologique et si on ne fait rien pour faciliter l’apparition de nouveaux sauvageons. 3 photos regeneration
Dans les haies bocagères récentes où tous les arbres ont le même âge (on parle de peuplement équienne), ces trois phases se succèdent dans le temps suivant l’ordre présenté. Mais, dans les vieilles haies, où l’intérêt est de faire cohabiter au mieux des arbres de toutes essences et de tous âges, il est classique d’avoir à les mener de front.
Quoi qu’il en soit, en l’absence de ces interventions, il y a toujours une perte, tant au plan qualitatif que quantitatif.
La meilleure illustration est donnée par les haies dégradées de chêne pédonculé, si fréquentes dans le Bassin de Rennes, où l’absence de gestion depuis un demi-siècle, alliée très souvent à des interventions traumatisantes comme l’émondage intensif ou la suppression du sous-étage par le feu ou les traitements phytocides, précipitent le déclin du bocage. Près des deux tiers du linéaire de haies, dans certaines communes, ont déjà disparu du fait de ces phénomènes, et la survie de ce qui subsiste est parfois largement compromise. D’autant que ces haies dégradées ne sont plus à même de fournir qu’un peu de bois de feu, ce qui n’est pas en soi une réelle incitation à tenter de les réhabiliter. La perspective semble sombre dans ce contexte où la haie « ne paie plus son loyer » et où elle offre au demeurant un aspect paysager assez désolant. La tentation est donc grande de détruire ces maigres vestiges. Mais il ne faut pas s’arrêter à cette vision peu engageante car, ce type déclinant, constitue un biotope fort intéressant. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ces arbres moribonds sont devenus source de vie parce qu’ils sont généralement porteurs de cavités attirant de nombreuses espèces cavernicoles qui y nichent ou s’y abritent.
Plutôt que d’araser ces haies souffreteuses, la logique voudrait au contraire qu’on se préoccupe de leur rénovation en replantant les vides, au cas où la dynamique naturelle de régénération ne s’y installerait pas, tout en conservant autant que faire se peut, les arbres morts ne présentant pas de danger.
Des pratiques d’usage courant inhibent cette précieuse dynamique ; elles sont évidemment à proscrire si l’on souhaite régénérer ces haies sénescentes :
- la destruction de la couverture végétale du talus par le feu contrôlé ;
- l’emploi répété de traitements phytocides en pied de haie ;
- le libre accès de la haie au bétail avec le double effet de la destruction du talus par le piétinement et la disparition de la végétation sous la dent des animaux.
En observant ces principes de bon sens, il faut moins de dix ans pour que la reconquête du talus s’opère, d’abord par des éléments arbustifs dont il faut savoir s’accommoder car ils sont bien souvent le berceau des essences d’arbre qu’ils protègent ou dont ils accompagnent le développement.
Gilles Pichard
Ingénieur forestier