Auteur : Erik Neveu
La Bretagne a été l’un des bastions du maoïsme dans les années 1968. Celui-ci s’incarne dans plusieurs structures concurrentes, comme la Gauche prolétarienne, Drapeau rouge ou encore le PCMLF, qui seront particulièrement actifs dans les années 1974-1978.
La contestation des années 1968 a été marquée en Bretagne par une forte présence des groupes maoïstes, qui ont trouvé là leur plus fort ancrage hors de la région parisienne. Dès 1967, l’UJC-ML trouve des relais chez des cadres de l’Unef rennaise. Mais c’est Mai 68 qui va être le point de départ d’une expansion. Succès paradoxal si l’on considère que dans les propos rétrospectifs de beaucoup de ceux qui vont militer là, le premier mouvement a souvent été de répulsion ou de défiance devant ce qui paraissait dogmatique, sectaire, décalqué sans grande distance de ce qui se passe en Chine. Si une série de leaders étudiants deviennent « maos », c’est moins sur une adhésion théorique à une idéologie que sur la perception de ce que les maoïstes seraient les plus actifs à aller vers les mondes ouvriers et populaires, les plus zélés à « servir le peuple » pour reprendre un de leurs slogans.
La trajectoire d’un mouvement
En faisant grâce des nombreux épisodes de scission et fusion qui ont marqué ce microcosme, on peut en suggérer trois dynamiques, largement spécifiques à la Bretagne. L’une tient au rôle d’un groupe « local », Rennes Révolutionnaire, né en 1970, qui deviendra Drapeau Rouge puis l’Organisation communiste de France (marxiste-léniniste) et essaimera bien au-delà de l’ouest. À travers une politique d’établissement (départ pour l’usine) de beaucoup de ses militants, il parvient à sortir du seul monde de la jeunesse lycéenne et étudiante. C’est aussi un espace où la sollicitation du marxisme-léninisme ne produit pas que langue de bois, mais aussi réflexions sur les ambiguïtés de la gauche du Programme commun, l’utilité d’une fonction d’entrepreneur, la géopolitique des
« trois mondes ». La présence maoïste en Bretagne tient en second lieu à l’évolution des jeunes du PSU qui, à travers la tendance « Gauche révolutionnaire », vont pour beaucoup, peu à peu, quitter le parti à partir de 1971 pour se constituer en organisation autonome se réclamant du maoïsme. Enfin, à partir de 1973, c’est l’Humanité Rouge (façade légale du PCMLF clandestin) qui va fonctionner comme pôle d’attraction, intégrant beaucoup d’anciens du PSU ou de membres de micro-groupes comme Le Travailleur. La branche bretonne de l’organisation regroupe probablement en 1975 le quart des effectifs nationaux. Une autre donnée, plus « provinciale » que bretonne, peut être suggérée. Dans une France où la vie intellectuelle et universitaire est pathologiquement concentrée sur Paris, la relative absence d’un milieu intellectuel dense et avant-gardiste dans l’espace breton a pu valoriser un militantisme soucieux de se frotter au réel et non de gargarismes théoriques… d’autant que le recrutement gauchiste se faisait incomparablement plus chez des promus sociaux que chez des enfants des classes supérieures en quête de magistère intellectuel.
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