Auteur : Erwan Chartier / mars 2022
L’interceltisme a donné son nom au festival de Lorient, l’une des plus importantes manifestations culturelles d’Europe. Pourtant, aucun dictionnaire de langue française n’en donne de définition précise. Ce concept, vieux de deux siècles, a revêtu des réalités très diverses et s’est incarné en de multiples formes dans les domaines intellectuel, artistique ou politique. L’histoire de ce mouvement protéiforme s’est jouée en plusieurs actes avec, pour trame, le souvenir plus ou moins mythifié des civilisations celtiques de l’Antiquité et du haut Moyen Âge.
Avec une singulière constance, les Celtes reviennent régulièrement à la mode, de la littérature arthurienne médiévale aux succès contemporains de la musique celtique. Dès la fin du XVIIIe siècle, l’Écossais Macpherson, et ses Récits d’Ossian, rencontrent un succès international. Quelques décennies plus tard, le romantisme met à nouveau ces Celtes en avant, en leur attribuant toutes sortes de vertus primitives face à une société qui change rapidement et à un modernisme vécu comme la fin d’une harmonie multiséculaire.
Celtes enchantés
Les idées des Lumières, la révolution industrielle, le développement des idéologies ébranlent les sociétés rurales traditionnelles qui dominaient l’Europe jusqu’au début du XIXe siècle. Ces bouleversements provoquent ce que le sociologue Max Weber a qualifié de « désenchantement du monde ». Le progrès fait disparaître une grande partie de la magie qu’entretenaient les sociétés anciennes. C’est dans ce contexte que plusieurs auteurs bretons vont tenter de reconstruire une « Celtie enchantée », en mettant en avant une certaine nostalgie pour le passé et les traditions celtiques de la péninsule. Ce mouvement tente aussi de renouer des liens avec les « frères d’outre-Manche ».
Le premier acte de l’interceltisme moderne se tient durant l’été 1838, lorsqu’une délégation de Bretons traverse la Manche pour se rendre au grand festival gallois, l’Eisteddfod. On compte parmi eux le jeune Théodore Hersart de la Villemarqué qui s’enthousiasme pour le dynamisme culturel gallois et le mouvement néo-druidique. De retour en Bretagne, il s’attelle à la rédaction du Barzaz Breiz, ouvrage promis à un grand succès éditorial. Plusieurs chants de ce recueil ont d’ailleurs été « transformés » dans un sens interceltique, comme celui sur la bataille de Saint-Cast en 1758. La Villemarqué y ajoute des couplets sur une fraternisation entre soldats bretons et gallois, un épisode totalement imaginaire au niveau historique. Très influencé par ce qu’il a vu au pays de Galles, La Villemarqué rêve d’être à la tête d’un mouvement bardique similaire. Il lance, en 1861, une « confrérie bretonne », la Breuriez Breiz, qui ambitionne de devenir une académie intellectuelle à l’égal du Gorsedd des druides gallois. Elle peine cependant à recruter, même si l’on y trouve des personnages originaux, comme Charles de Gaulle, grand-oncle du général. Dans les années 1860, Charles de Gaulle est à l’origine de plusieurs initiatives interceltiques, comme le projet d’une colonie brito-galloise en Patagonie. En 1865, il publie dans la Revue de Bretagne et de Vendée un « Appel aux représentants actuels de la race celtique » aux accents racialistes, à comprendre dans une époque où les théories du Français Arthur de Gobineau font florès.
En 1867, Saint-Brieuc accueille le premier congrès celtique international, que les organisateurs présentent comme le premier « Eisteddfod breton ». Une délégation galloise y assiste et participe aux débats. Prévu pour réserver un triomphe aux idées panceltiques de la Breuriez Breiz, il se déroule dans la confusion, avec des attaques contre La Villemarqué, accusé d’avoir inventé la majeure partie des chants et contes populaires du Barzaz Breiz. Une querelle qui durera plusieurs décennies avant que l’ethnologue Donatien Laurent ne redécouvre les carnets de collectes de La Villemarqué. Avec ce congrès de Saint-Brieuc se clôt le premier acte de l’interceltisme.