Auteur : Philippe Lanoë / novembre 2016
« La Bretagne terre de saints », l’expression prend sa source dans l’impressionnante liste de huit cents noms de saints bretons dont seuls quelques-uns sont reconnus par l’Église de Rome. Ces saints apparaissent au détour d’une chapelle, d’une église, d’une fontaine ou d’un pardon. Ils sont indissociables d’une foi populaire tenue à distance ou valorisée par l’Église selon les époques.
Les sources
La toponymie apporte assurément le contingent de noms le plus important et de loin. C’est aussi le moins fiable quant à l’authenticité de ces saints.
Les dédicaces des églises apportent également leur lot de noms. Elles ne coïncident pas forcément avec le nom de la paroisse et de son patron. Il arrive aussi que des saints plus prestigieux remplacent les anciens à l’origine obscure comme Ciferian remplacé à Paule par saint Symphorien, martyr à Autun au IIIe siècle.
Les plus prestigieux bénéficient de mentions dans les textes liturgiques (calendriers, bréviaires) et, surtout, ont le droit au récit de leur vie, les Vies de saints.
Le sens du mot « saint »
D’abord utilisé par les chrétiens pour se distinguer des païens, le titre de saint est honorifique et réservé au clergé à partir du IVe siècle lorsque la religion chrétienne s’impose dans l’Empire romain.
Deux siècles après, cette dénomination a disparu dans l’Occident, seul le pape conserve le titre de « saint-père ». Le clergé de l’île de Bretagne, principalement monastique et isolé du reste de la chrétienté, conserve cette habitude et l’importe en Armorique lors des migrations.
C’est à partir de 1234 que le pape se réserve le droit de canoniser. Cette décision ne s’applique pas aux nombreux saints bretons dont le culte a été établi bien antérieurement.
Des saints fondateurs aristocrates
En Armorique ce sont les martyrs (Donatien et Rogatien à Nantes), puis les évêques évangélisateurs (Melaine à Rennes, Felix à Nantes ou Paterne à Vannes) qui peuplent le ciel en saints locaux.
Dans l’île de Bretagne, saint Iltud, petit-fils de roi et disciple de saint Germain d’Auxerre, fonde le monastère de Llanilltud Fawr (Llantwit major, pays de Galles). Ce monastère est un foyer de christianisation important dont sont issus plusieurs saints armoricains comme saint Samson, fondateur du monastère de Dol, ou Paul Aurélien, issu d’une grande famille, les Aurelianii, à Saint-Pol-de-Léon.
Ces saints proches des princes bretons, quand ils ne sont pas rois eux-mêmes comme Judicaël, sont fondateurs d’abbayes (Gwenolé à Landévennec, Méen à Saint-Méen-le-Grand, Tugdual à Tréguier, Malo à Saint-Malo). Ils sont aussi parfois évêques (Corentin à Quimper). C’est parmi eux que se recrutent les sept saints fondateurs de la Bretagne visités par le Tro Breiz.
Saints locaux
Pour le plus grand nombre, leur culte ne dépasse guère le cadre d’une paroisse, au mieux quelques-unes car, fidèles à l’usage celtique, ils voyageaient facilement.
Ils sont indissociables du maillage de la péninsule par un réseau de paroisses (paroisses en « Plou- » du bas-latin plebs) encadrées par des chefs civils et religieux. Les noms de ces fondateurs ont été sanctifiés, mais il est probable que tous n’étaient pas membres du clergé (Fragan à Ploufragan). Au sein de ce maillage apparaissent des fondations strictement monastiques, simple ermitage ou abbaye, dont le nom, introduit par le préfixe lan-, garde la mémoire de son fondateur (ex. Lannédern Lan + Edern).
Il faut admettre aussi que bien des noms de saints locaux sont plus que suspects. Sainte Tréphine pourrait simplement désigner le point de rencontre de trois frontières (trifinium) et Cornely signaler la christianisation d’un antique dieu cornu.
Pour extirper le paganisme bien vivace au haut Moyen Âge, l’Église a recouru à la christianisation des lieux de culte, en associant fontaines, arbres et pierres au nom d’un saint. Ces lieux sont d’autant plus fréquentés que les reliques se font rares. Beaucoup de ces reliques ont été emportées par le clergé fuyant les attaques normandes au début du Xe siècle.
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