6.1

Histoire des essences et des usages en Bretagne

Des millénaires d’interaction entre végétation et agriculteurs bretons, les données de l’archéobotanique

Les changements climatiques naturels sont sensibles entre la fin de la dernière période glaciaire et le postglaciaire, il y a 10 000 ans, avec pour conséquence le passage d’une steppe herbacée à une forêt boréale puis, à une chênaie diversifiée dense à tilleuls et ormes voici environ 8 000 ans. Depuis lors, les variations enregistrées dans la végétation armoricaine sont la conséquence presque exclusive de l’activité des sociétés humaines (Barbier, 1999 ; Gaudin, 2004).

Les informations proviennent de 350 sites archéologiques ou zones humides situées à leur proximité. Elles consistent en l’analyse des restes botaniques macroscopiques (bois, graines) et microscopiques (pollens et spores) conservés dans les sols et en celle du rythme annuel de croissance radiale des bois. Les phénomènes révélés par l’ensemble de ces analyses sont rangés dans le temps par la datation au radiocarbone.

Les premières manifestations de défrichement et de mises en culture par les sociétés néolithiques remontent à près de 8 500 ans. Au cœur du maximum thermique de notre période post-glaciaire, la chênaie diversifiée dense subit, sur les côtes méridionales bretonnes, aux embouchures du Golfe du Morbihan et de la Loire, une première pression anthropique annonçant une économie de production agricole avec régression du couvert forestier et développement de céréales (Visset et al, 1996 ; Visset et al, 2002).

Il y a 7 000 ans, les traces de pratiques agricoles deviennent nombreuses et indéniables dans le sud armoricain. La chênaie est localement déboisée. Le noisetier, certains fruitiers sauvages, le genêt et l'ajonc s’installent dans les zones ouvertes formant une mosaïque de landes-fourrés. La culture sur brûlis du blé tendre, de l'orge nue et de la fève est attestée (Gebhardt et Marguerie, 2006).


Pollen d'aulne - Alnus sp. (diamètre = 30 µm).

Pollen de bruyère - Erica sp. (diamètre = 37 µm).

Pollen de composée astéracée (diamètre = 25 µm).

Pollen de compostée cichorioidée (diamètre = 35 µm).

Pollen de céréale (diamètre = 55 µm).

Pollen de sarrasin (longueur = 48 µm).

Sur les côtes nord bretonnes, dans le Léon, la chênaie diversifiée, bien qu'en régression, est la formation végétale dominante. Les zones d'implantation des grands monuments mégalithiques recèlent des actions anthropiques de déboisement sur l'environnement floristique entre 6 500 et 6 000 ans avant l’actuel. Élevage et culture céréalière sont également révélés à travers les pollens et les graines.

Dans l'intérieur de la péninsule bretonne, les signes de l'occupation humaine des premiers temps néolithiques sur la végétation sont fort ténus, une ambiance forestière très nette persiste. Toutes les études convergent pour constater au Néolithique, un impact anthropique plus net sur les côtes qu'à l'intérieur.

Durant le Néolithique final, il y a 5 000 ans, l'étude des sols et de leur contenu botanique piégés sous les nombreuses allées couvertes ne vient que confirmer l'ouverture des formations forestières et la pratique de la céréaliculture. Une croissance radiale accrue du bois s’observe chez le chêne caducifolié et peut être mise en relation directe avec l’ouverture du milieu.

À partir de 4 500 ans, la corylaie peut localement dominer la chênaie et le hêtre pousse de plus en plus fréquemment.

Dès le début de l'Âge du Bronze, le milieu est encore nettement plus anthropisé sur le littoral que dans l’intérieur. Les conditions climatiques semblent se dégrader de manière constante durant cette période. Toutefois, l'emprise humaine va croissante tout au long du deuxième millénaire et semble être plus tournée vers l'élevage que la culture. À l’Âge du Bronze final, l’élevage et la céréaliculture sont bien engagés au sud de la péninsule (Gabillot et al., 2007).

Ensemble de graines médiévales carbonisées. Photographie : M.P. Ruas

Au second Âge du Fer, il y a 2 300 ans, une expansion démographique consommatrice de bois et de surfaces forestières, entraîne une nette dégradation de la chênaie. Cette exploitation forestière et la dégradation progressive des sols mis à nu sont les causes majeures du développement de la lande et des fourrés. Une agriculture variée est alors pratiquée à proximité des nombreux établissements agricoles gaulois répartis sur l’ensemble du territoire aussi bien en situation continentale que littorale. Le châtaignier et le noyer sont introduits en divers secteurs. Le seigle, le sarrasin et le chanvre accompagnent désormais les cultures de blé et d’orge.

La période gallo-romaine voit un nouveau degré d'intensification et de diversification des cultures. L’épeautre vient s’ajouter aux céréales déjà cultivées dans l'Ouest. L'orge polystique vêtu remplace l’orge à grains nus. L'agriculture romaine fera également bénéficier les contrées armoricaines de divers condiments et épices ainsi que de toute une variété de fruits charnus domestiqués comme la pomme, la poire, la fraise, la nèfle et, bien sûr le raisin (Ruas, 1990).

Une baisse sensible et régulière des taux de pollens d’arbres contenus dans les sédiments est observée depuis la protohistoire jusqu’à l’époque gallo-romaine. Elle s’accentue à partir du haut Moyen Age (Gaudin, 2004).

Carte des taux de pollens d'arbres dans les analyses polliniques armoricaines (d'après Gaudin, 2004).
En vert : présence de pollens d'arbres.
En jaune : présence de pollens de plantes cultivées
Dégradés gris : échelle de densité supposée des boisements, de la forêt aux champs ouverts.

Les pratiques agricoles du second Âge du Fer et de l’Antiquité sont à l’origine de la parcellisation d’un territoire ouvert et largement exploité dès les Ve- Ier siècles av. J.-C. Les prospections archéologiques aériennes et la photo-interprétation faite sur les clichés sont à l’origine de très nombreuses découvertes d’établissements agricoles délimités par des fossés autour desquels s’organise un parcellaire sur quelques dizaines à quelques centaines d’hectares (Leroux et al., 1999). L’organisation spatiale de ces sites ainsi que de leur parcellaire associé ne correspond presque jamais aux formes modernes dessinées dans les cadastres napoléoniens. Toutefois, à l’échelle d’une commune, il peut exister une structuration des réseaux de formes de la protohistoire à l’époque moderne.

Les talus des parcelles protohistoriques peuvent avoir accueilli des haies arborescentes et arbustives variées. En Mayenne, des charbons de bois contenus dans le fossé d'un paléo-parcellaire lié à un habitat du second Âge du Fer et provenant du talus associé correspondaient principalement à du chêne mais aussi à des arbustes héliophiles comme le noisetier, l'érable champêtre, des pomoïdées, des genêts et ajoncs, des essences plus hygrophiles comme le peuplier et le saule, mais aussi du houx.

Discordances locales entre les parcellaires antiques et le cadastre napoléonien (d'après Gautier et al., 1996).

Après un recul des activités agricoles durant le Bas-Empire romain, l’agriculture bretonne s'affirme à nouveau à partir des IX-Xe siècles. La période médiévale aura un rôle déterminant dans la genèse des paysages modernes avec la mise en place lente et progressive d’un « proto-bocage ».

Sur les sites du nord de l’Ille-et-Vilaine, le Moyen Age se caractérise par un paysage ouvert, déboisé localement et régionalement accueillant une activité agricole bien marquée et variée. Il peut exister en certains secteurs, comme à Montours, des phases médiévales de déprise agricole suite à des déplacements de populations. Puis, vers le XVe siècle, une nette expansion des pollens de chêne sur quelques sites de Haute-Bretagne, apparaît fortement discordante avec la rareté du couvert forestier reconnue durant l’époque moderne. Il semble que cette « anomalie pollinique » soit à mettre en relation avec le développement de réseaux de haies plantées de chênes dans le cadre d’un aménagement parcellaire de type bocager (Marguerie et Oillic, 2007). Plus tard, sans qu’il soit actuellement possible de préciser durant quel siècle (faute de datation radiocarbone), ce secteur géographique accueillera une forte quantité de châtaigniers. Ceux-ci existaient jusqu’alors fort discrètement dans la végétation. Des études archéobotaniques futures et des échanges avec les historiens devraient permettre de préciser quelle forme revêt alors ces plantations : en réseau de haies ou en boisement ?

 

Bois de haies utilisés comme bois d'œuvre dans une maison de Guingamp (Côtes-d'Armor), vers 1490.

La pratique de l’émondage des arbres de haies qui accompagne l’extension des parcellaires bocagers n’est pas sans conséquence dans la croissance des émondes et est à l’origine d’une « signature dendrologique » caractéristique. Celle-ci se lit très bien dans les séries de cernes du bois en montrant des cycles réguliers de chutes de croissance tous les 7 à 12 ans. S’il est ainsi possible d’attribuer les premières mentions de cette pratique agricole sans aucun doute à l'époque carolingienne, grâce à l’analyse de bois d’œuvre archéologiques, la fréquence des arbres émondés employés en architecture est en nette augmentation dès les années 1380-1400. Le Trégor et le Bassin de Rennes sont précurseurs en la matière (Bernard et al., 2007).

Évolution des taux moyens de pollens d'arbres dans les analyses polliniques armoricaines (d'après Gaudin, 2004).

Diagrammes polliniques simplifiés de Haute-Bretagne.

 

Dominique Marguerie
Chercheur CNRS, UMR 6566 CREAAH, Archéosciences-Rennes,
Université de Rennes 1, Beaulieu, 35042 Rennes cedex

 

Références bibliographiques

Antoine A., Marguerie D. (dir.), 2007 – Bocages et sociétés. P.U.R., Rennes.

Barbier D., 1999 - Histoire de la végétation du nord-mayennais de la fin du Würm à l'aube du XXIème siècle. Mise en évidence d'un Tardiglaciaire armoricain. Interactions Homme-milieu. Ed. Gemina, Nantes, 2 vol., 284 p. et 63 fig.

Bernard V., 1998 - L'homme, le bois et la forêt dans la France du Nord entre le Mésolithique et le Haut Moyen-Age, BAR International Series, 733, Oxford, 190 p.

Bernard V., Epeaud F., Le Digol Y., 2007 - Bois de haie, bois de bocage, bois d’architecture. In Antoine, Marguerie (dir.) : Bocages et sociétés, Ed. P.U.R., Rennes.

Gabillot M., Gaudin L., Marguerie D., Marcoux N., Bernard V., 2007 - Indicateurs d’activités agro-pastorales et métallurgiques dans le Massif armoricain au cours du deuxième millénaire avant notre ère. Actes 129ème congrès CTHS, Le temps, avril 2004, Besançon, 20 p.

Gaudin L., 2004 - Les transformations spatio-temporelles de la végétation du nord-ouest de la France depuis la fin de la dernière glaciation. Reconstitutions paléo-paysagères. Thèse de doctorat de l’université de Rennes 1, 2 volumes, 763 p.

Gautier M., Naas P., Leroux G., 1996 ‑ Archéologie des paysages agraires armoricains, Eléments pour une nouvelle approche. In Chouquer G. (dir.) ‑ Les formes du paysage, T.2 : Archéologie des parcellaires, Ed. Errance, p 45-56.

Gebhardt A., Marguerie D., 1993 - La transformation du paysage armoricain sous l'influence de l'Homme. In Coll. – Le Néolithique au quotidien. Documents d'Archéologie Française, n°39, Ed. Maison Sciences de l’Homme, Paris, 19-24.

Gebhardt A., Marguerie D. 2006 - Les sols, leur couvert végétal et leur utilisation au Néolithique. In Le Roux, C.-T. (dir.), Monuments mégalithiques à Locmariaquer (Morbihan). 38e Supplément à. Gallia Préhistoire. CNRS Ed., Paris, 13-23.

Leroux G., Gautier M., Y., Meuret J.-C., Naas P., 1999 ‑ Enclos gaulois et gallo-romains en Armorique. Coord. Ménez Y., Documents Archéologiques de l'Ouest, Ed. R.A.O., 335 p.

Marguerie D., Antoine A., Thenail C. Baudry, J., Bernard, V., Burel, F., Catteddu, I., Daire, M.-Y., Gautier, M., Gebhardt, A., Guibal, F., Kergreis, S., Lanos, P., Le Cœur, D., Le Du, L., Mérot, P., Naas, P., Ouin, A., Pichot, D. et Visset, L., 2003 – Bocages armoricains et sociétés, genèse, évolution, interaction. In Muxart et al. (dir.) : Des milieux et des hommes : fragments d’histoires croisées, Ed. Elsevier, p. 115-131.

Marguerie D., Oillic J.-C., 2007 – Pollens et bocages dans le nord-ouest de la France. In Antoine, Marguerie (dir.) : Bocages et sociétés, Ed. P.U.R., Rennes.

Ruas M.-P., 1990. Recherches carpologiques dans le Massif armoricain du Mésolithique au Bas Moyen Age. Diplôme d'Etudes Approfondies en Histoire et Civilisations, E.H.E.S.S., Paris, mai 1990, 93 p.

Visset L., L'Helgouac'h J. et Bernard J., 1996. La tourbière submergée de la pointe de Kerpenhir à Locmariaquer (Morbihan), étude environnementale et mise en évidence de déforestations et de pratiques agricoles néolithiques. Rev. archéol. Ouest, 13, 79-87.

Visset L., Cyprien A.-L., Carcaud N., Ouguerram A., Barbier D. et Bernard J., 2002. Les prémices d’une agriculture diversifiée à la fin du Mésolithique dans le Val de Loire (Loire armoricaine, France). C.R. Palevol 1, 51-58.