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Mémoire de la société rurale

Dans le pays de Rennes, les siècles passés nous laissent en héritage des paysages très originaux marqués par la présence des ragosses, ces arbres émondés, dont la densité n’a pas d’égal en France. Cet héritage culturel ne se limite pas aux formes des arbres. La diversité des usages, la multitude d’objets domestiques et professionnels issus des haies sont autant de témoins des besoins et de la créativité de la société rurale.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer certains de ceux-ci dont les formes sont directement inspirées de celle de la branche utilisée. Dons providentiels de la haie ou orientations artificielles de la croissance des arbres et des arbustes, les objets domestiques et les outils traditionnels résultent souvent de l’acuité du regard du paysan qui a observé et suivi la pousse des végétaux pour détecter leur aptitude à tel usage ou à tel autre. Parfois la main corrige, oriente, ligature et force telle courbure ou telle fourche pour en faire un outil adapté aux gestes et aux difficultés du travail quotidien.

Dans la société rurale, tous les bois d’émondage avaient une utilité. Émondeur, perches et fagots à Plaine-Haute (Côtes d’Armor). Fin des années 1980. Photographie : Paskal Martin

La société rurale entretient ainsi un rapport très étroit avec l’arbre du bocage qui, au gré du talus, livre du bois pour brûler dans la cheminée, pour confectionner une charpente, pour sculpter le mobilier, pour réaliser des outils en bois très dur ou au contraire des manches en bois souple pour absorber les chocs, si douloureux pour les mains.

Épandage de fumier dans une parcelle enclose de haies d’émondes. Pays de Rennes, début du XXe siècle. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

Lié au savoir-faire, il y a un « savoir-vert » qui implique une connaissance et une maîtrise de la croissance des arbres et de leur aptitude à fournir des bois adaptés aux multiples usages.

Débitage de grumes aux champs dans le pays de Vitré-Fougères. Scie circulaire et locomobile. Début du XXe siècle. Écomusée du Pays de Rennes.

Cette ethnobotanique du bocage est omniprésente dans les nombreux témoignages des anciens agriculteurs, pour qui la connaissance des essences et des usages des arbres est une évidence toute naturelle. Qu’il s’agisse d’outillage, d’alimentation ou d’usage médicinal, le bocage fournit les compléments indispensables à l’agriculture de l’Ancien Régime ainsi qu’aux exploitations de polyculture-élevage des XIXe et XXe siècles.

Outillage : hache dite « épaule de mouton », cognée, hachette à émonder et serpe d’émondage. Écomusée du Pays de Rennes.

Veste en peau de bouc. Cette veste-cape est complétée d’un gilet de fermeture en velours. Le vêtement permettait de se protéger de la pluie et des arbustes épineux lors des travaux ruraux. Début du XXe siècle. Écomusée du Pays de Rennes.

Espace de travail, le bocage est soigneusement entretenu au fil des saisons : coupe de bois, émondage et fagotage d’hiver, curage des fossés et hersage des prairies au printemps, ramassage des feuilles à l’automne et coupe des ajoncs pour la litière des étables avant l’hiver.

Bocage à émondes et scène de labours. Pays de Vitré. Début du XXe siècle. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

L’harmonie qui semble régner entre le paysan, « jardinier » de la nature, et le bocage ne va pourtant pas de soi et nombre d’agriculteurs témoignent avec rancœur de l’agressivité des épines de l’aubépine, des difficultés à canaliser les ardeurs des prunelliers si envahissants, ou encore de la corvée familiale du ratissage des prairies après la chute des feuilles.

Les campagnes du sud, sud-est de Rennes sont dotées de sols plus maigres où la roche affleure. Le bocage y côtoie les landes, comme ici dans les Vallées de l'Hermitage à Goven. Carte postale. Début du XXe siècle. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

Pour d’autres, le réseau des haies constitue un lieu de vie qui chaque jour accompagne les enfants à l’école, souvent distante de plusieurs kilomètres, et héberge les jeux des enfants ou la garde des troupeaux. Les arbres sont alors pourvoyeurs de jouets buissonniers, de sifflets et autres lance-pierres qui constituent les images d’Épinal d’un bocage « vécu et rêvé ».