La crise du Bas-Empire
La profonde crise politique, militaire, économique et sociale qui affecta une grande partie de l’Empire romain dans le dernier quart du IIIe siècle apr. J.-C. mit un terme à la période de paix et de prospérité qu’avait connue la Gaule depuis plus de deux siècles.
Les effets en sont partout visibles, dans les capitales des cités romaines, qui souvent s’entourèrent de murailles afin de protéger une surface bien plus réduite que celle de la ville (Rennes, Vannes, Nantes) ; dans les campagnes, où nombreuses sont ces unités agricoles que l’on appelle villas dont le bâtiment résidentiel montre des traces d’abandon ou de destruction partielle ; sur les côtes enfin, où les établissements de salaison du poisson, nombreux sur les côtes de la baie de Douarnenez en particulier, cessèrent définitivement de fonctionner.
Les invasions hors de cause
On ne croit plus que ce phénomène soit dû à des raids germaniques venus par terre ou par mer, les nombreux enfouissements monétaires – improprement qualifiés de « trésors » – propres à cette période résultant plutôt d’un sentiment général d’insécurité, et de réformes de la monnaie qui faisaient perdre toute valeur aux espèces enfouies. De même les fortifications dressées à Alet en Saint-Malo, au Yaudet en Ploulec’h (Côtes-d’Armor) et à Brest à la fin du IIIe siècle étaient-elles principalement destinées à garantir la sécurité du commerce maritime plutôt qu’à la lutte contre des « pirates » germaniques.
Il est plus difficile d’évaluer les mutations que connurent les peuples romanisés de la péninsule armoricaine au cours des deux siècles suivants. Si l’on fait exception des villes emmuraillées, on voit que le fait urbain, élément majeur de la civilisation romaine des provinces, perdit très rapidement de son importance après un bref regain au début du IVe siècle, les bâtiments et structures publics et privés des capitales de cité – forum et théâtre de Vannes, sanctuaire du Haut-Bécherel en Corseul (Côtes-d’Armor), aqueduc de Carhaix (Finistère) – étant abandonnés ou partiellement démolis. Hormis quelques villas du sud de la péninsule (environs de Vannes, Pays nantais), proches de ce val de Loire où la civilisation romaine s’était ancrée plus profondément, aucune résidence rurale ne montre de traces apparentes de reconstructions ou de réparations substantielles, seuls quelques aménagements sommaires révélant qu’elles étaient encore habitées.
Abandon du mode de vie « romain »
L’idée selon laquelle cette occupation de « ruines » serait due à des squatters ou des colons très peu romanisés, que le pouvoir romain aurait fait venir de Grande-Bretagne afin d’assurer la défense d’une Armorique menacée par des raids germaniques, ne tient plus. On constate en effet que ces résidences livrent des poteries et des récipients de verre venus de zones éloignées, comme la forêt d’Argonne, la région de Bordeaux, les environs de Cologne, le sud de la Grande-Bretagne, importations trop coûteuses pour être le fait de populations aussi marginales.
L’explication de cette apparente contradiction réside en fait dans une transformation spirituelle des élites urbaines et rurales, qui, tout en continuant d’habiter leurs maisons urbaines et leurs villas, abandonnèrent en quelques décennies leur mode de vie romanisé, transformant les thermes de leur villa en pièces à vivre ou à usage artisanal, bâtissant des fours sur les dallages ou contre les enduits peints de leurs anciennes pièces d’apparat, dressant, à l’écart des bâtiments d’habitation maçonnés, des édifices de bois et de torchis, mutation qui caractérise à cette époque tout le nord de la Gaule.
Retour à un pouvoir local
C’est à cette même aristocratie indigène que l’on doit attribuer les pièces métalliques (fibules, garnitures de ceinturons) mises au jour sur certains de ces sites et dans lesquelles on a longtemps vu la preuve d’une occupation militaire, bretonne ou autre. Symboles de pouvoir et de statut social, elles montrent que, dans un contexte de lente désintégration des structures administratives impériales, ces élites s’arrogeaient ou se voyaient confier un rôle politique ou/et de police, signe d’une fragmentation sociale et de l’émergence de nouvelles structures de pouvoir alors que disparaissaient dans l’Armorique rurale les derniers signes de la romanité et que la région glissait dans une nouvelle Protohistoire.