À la recherche de l’authentique combattant breton (1870-1962) par Erwan Le Gall
Organe mensuel de la section d’Ille-et-Vilaine de l’Union nationale des combattants, encore aujourd’hui la plus puissante association d’anciens combattants dans ce département, Le Combattant d’Ille-et-Vilaine se réjouit dans son numéro daté du 1er janvier 1936 de la nomination d’un nouveau secrétaire général à la préfecture, Pierre Le Baube.
À en croire ce journal, ce haut-fonctionnaire est en effet « un authentique ancien combattant » . Il est vrai que ses états de service sont particulièrement impressionnants : mobilisé au début du mois de septembre 1914 au 26e régiment d’infanterie en tant que simple soldat de 2e classe, il sort rapidement du rang et est nommé sergent le 6 janvier 1915. Blessé cinq fois, il est cité deux fois à l’ordre de son régiment, ce qui lui vaut d’être décoré de la Croix de guerre . Pour autant, le qualificatif « d’authentique ancien combattant » ne manquera pas d’interpeller l’observateur avisé : il y aurait donc des « vrais » et des « moins vrais », voire même des « faux », combattants.
Une telle interrogation est loin d’être purement rhétorique. On sait en effet la propension des acteurs à capitaliser sur leur expérience combattante, celle-ci pouvant constituer un véritable atout au moment de se réinsérer dans le monde civil, une fois la paix revenue . C’est ainsi que lors des élections législatives de 1936, celles qui portent la coalition de Front populaire au pouvoir, un candidat en Ille-et-Vilaine n’hésite pas à mentir sur son expérience de la Grande Guerre en affirmant avoir été mobilisé dans un régiment d’infanterie d’active alors qu’il ne sert « que » dans l’artillerie lourde. A l’évidence, cette dernière arme n’est pas jugée aussi « rentable » sur le plan électoral que la première, étant beaucoup plus éloignée des tranchées, et donc moins dangereuse. Pour autant, est-ce que cela suffit à disqualifier Jean Bohuon, puisque c’est de ce cultivateur de Montreuil-sur-Ille dont il s’agit ? Autrement dit, est-il un « authentique », ou non, combattant ?
C’est au prisme de la période 1870-1962, caractérisée à la fois par le primat de l’institution qu’est le service militaire et par la participation d’appelés à des conflits armés – en l’occurrence la guerre de 1870-1871, les deux conflits mondiaux et la guerre d’Algérie – ayant généré des centaines de milliers de vétérans, que nous tenterons d’évaluer ce qui relève ou non de « l’authentique » combattant en décrivant d’abord les dispositifs de reconnaissance mis en place par l’Etat, puis en les confrontant à la réalité du champ de bataille. Enfin, c’est sur la dimension proprement bretonne de ce combattant « authentique » que portera la réflexion.s.