Dans son récit Mauvais départ, Liza Kerivel nous offre le portrait de sa grand-mère Marie Coïc, née en 1921. Cette histoire, intime et singulière, s’inscrit dans la mémoire sociale de la Bretagne à travers la reconstitution sensible d’une vie de labeur. Celle d’une ouvrière sardinière entre Douarnenez et Pornic qui parfois entonne cet hymne des penn sardin : « Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons, Saluez ce sont eux qui gagnent vos millions. » Cette chanson, emblématique des luttes menées par les ouvrières des conserveries, est présentée par les artistes Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière dans leur ouvrage Le Chant des sardinières. Les penn sardin chantent et se fédèrent pour améliorer leurs conditions de travail, comme lors de cette mobilisation victorieuse de 1924 racontée par Anne Crignon dans Une belle grève de femmes.
En Bretagne, l’histoire ouvrière se raconte aussi en romans. Ainsi, Le Voyage à Paimpol de Dorothée Letessier met en scène, en 1981, l’escapade de Maryvonne, jeune femme épuisée par sa vie à l’usine dont la voix résonne ici dans cet extrait : « Puis on retourne à nos établis. Nos gestes sont indépendants de notre volonté. Notre voix est volée par le vacarme des machines. On ruse, on parle sans le son, on mime les syllabes avec les lèvres. […] à l’usine, on se sent toujours un peu infirme et quelquefois c’est plutôt commode. »
Un voyage comme une fuite. C’est ce qu’espère Sylvie Meyer dans le monologue Otages de Nina Bouraoui qui chante à tue-tête dans sa voiture : « Je partais, loin, loin de tout. Je voulais tout quitter, tout laisser en plan », avant de se révolter : « Je m’appelle Sylvie Meyer. J’ai cinquante-trois ans. Je suis mère de deux enfants. Je suis séparée de mon mari depuis un an. Je travaille à la Cagex, une entreprise de caoutchouc. Je dirige la section des ajustements. Je n’ai aucun antécédent judiciaire. »
Une histoire de femmes en résistance, à la recherche d’un nouveau souffle au plus près de la nature, comme l’héroïne de Liza Kerivel dans Remonter les rivières, roman poignant et lumineux : « Je me sentais incapable d’effectuer le moindre geste et tout aussi incapable de faire autre chose qu’inspirer puis expirer cet air vif à pleins poumons. Respirer l’odeur de la mer [...]. »