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Un voyage photographique

Il revient communément aux musées régionaux d'histoire et d'ethnographie de réunir les principales sources iconographiques d'étude de la portion du territoire qui constitue leur domaine. La première pièce entrée, en 1846, dans les collections du Musée semble ainsi être le dessin, commandé par la Société archéologique à Victor Roussin, représentant une maison de la rue du Roi Gradlon, promise à la démolition : par cet acte de naissance, le Musée se voyait assigner, parmi ses missions diverses, celle de conserver les images d'un environnement architectural et urbain en cours de transformation.

Le développement systématique de ce fonds est, depuis un peu plus de dix années, un axe majeur de la politique d'enrichissement des collections du Musée : pendant cette période, près de sept cents gravures et plus de cinq cents dessins ont été acquis. Les principaux albums lithographiques du XIXe siècle ou de nombreuses affiches se sont ajoutés à cet ensemble désormais sans équivalent.

Depuis 1960, un millier de cartes postales et de négatifs du photographe quimpérois Villard, réalisés entre 1910 et 1930 formait l'essentiel du fonds photographique du Musée, auquel s'était adjoint dans les années 1980 les clichés d'amateur du Docteur Lechat et quelques ensembles plus réduits. En 1998, l'exposition Marins du Finistère, composée principalement de clichés de Jacques de Thézac donnés au Musée en 1988, indiquait la place qu'y tenait désormais la photographie ancienne. La même année le rejoignirent 268 plaques de verre positives, réalisées en Finistère dans les deux premières décennies de ce siècle.

 

Anonyme français - Femme et fillette de Rosporden ou environs

ANONYME FRANÇAIS
vers 1860 (album Dargent)
Femme et fillette de Rosporden ou environs.
Collection Musée départemental breton, inv.991.19.1.19.

Cependant la photographie « historique », antérieure au dernier quart du XIXe siècle, n'abondait guère encore, malgré le don, en 1991, d'un précieux recueil provenant de la famille du peintre Yan' Dargent. De fait, pour la Bretagne, le domaine était, jusqu'à aujourd'hui, terra incognita : le recensement des premiers clichés commence seulement, avec notre exposition et cet ouvrage. Nous devons à la passion et la science de son auteur principal, Monsieur Denis Pellerin, d'avoir pu rassembler et acquérir pour le Musée, en aussi grand nombre, des documents dont la plupart étaient oubliés depuis leur première publication, il y a près de cent cinquante ans.

 

 

 

“ Le Musée se trouve désormais détenteur du rarissime Walking tour in Brittany, de Jephson, Reeve et Taylor, et de ses 90 clichés ; de la série la plus riche, en France, de vues du Voyage en Bretagne de Furne et Tournier ; d'une cinquantaine de vues d'auteurs divers, parmi lesquels on rencontre Alfred Beau, moins connu comme photographe que pour son œuvre de faïencier et la part qu'il prit à Quimper, comme Conservateur, dans le développement des collections départementales de costumes traditionnels. Nul doute que pour la plupart de nos visiteurs, même avertis de la « matière bretonne », cette exposition et son catalogue constitueront une découverte : ils y contempleront souvent les tous premiers clichés pris aux diverses étapes du périple des photographes voyageurs. ”

 

 

 

Des expéditions en Bretagne au tournant du siècle dernier, le Musée départemental en a évoqué bien d'autres dans de précédentes expositions : celui de François-Hippolyte Lalaisse en 1843 et 1844, ceux des « dessinateurs de vues » et « faiseurs de bonhommes » des Voyages pittoresques dans l'ancienne France (1845-46), ceux du Lorrain Gridel, peu d'années après nos photographes. Si la relation entre les premières photographies et la lithographie documentaire n'est pas toujours aussi directe que dans le cas représenté dans l'exposition par les clichés de Louis Robert, le rapprochement entre les diverses manières, contemporaines, de saisir le visage d'une province est toujours passionnant. On admire, de la gravure la somptuosité des couleurs, la douceur jointe à la précision du trait, le charme des compositions. Au dessin, on doit l'évocation d'un instant, la spontanéité parfois malicieuse - comme chez Gridel - d'un croquis d'attitude, l'évocation de scènes collectives que ne pouvaient pas toujours rendre l'objectif du photographe.

 

Anonyme français - Quimperlé

ANONYME FRANÇAIS
vers 1860 (album Dargent)
Quimperlé.
Collection Musée départemental breton, inv.991.19.1.61.

Mais les peintres, dessinateurs et graveurs se montrèrent surtout sensibles à un pittoresque vestimentaire que la Bretagne de 1850 offrait généreusement. Pionniers d'une technique encore jeune, nos photographes n'avaient pas encore la prétention d'être des artistes, mais partagèrent la curiosité de ceux-ci - et celle du public : leurs clichés sont un apport essentiel à joindre, dans la documentation de l'historien des guises, aux planches de La Galerie armoricaine ou du Recueil de Charpentier. Bien plus, et peut-être à leur insu, ils ont fixé à jamais des visages qui tantôt nous semblent, par leur étrange rudesse, aussi éloignés dans l'espace que dans le temps, tantôt nous émeuvent, par une vivacité intacte et familière. Seuls ils ont pu capter la timidité d'une fillette qui, sous sa large coiffe, se tient sous le porche de l'église, ou l'orgueil d'un héritier de Quimperlé qui nous toise, droit comme un i, une main passée dans son gilet, l'autre avantageusement posée sur la boucle dorée de son gouriz (ceinture) de cuir.

La magie de la stéréoscopie conduit notre regard vers une troisième dimension plus fascinante que celle du cinématographe ou de la vidéo. À la suite de ces premiers voyageurs, nous pénétrons une Bretagne de fantômes à cheveux longs, de lavandières à jamais figées autour du lavoir, de maisons, de rues disparues, d'enfants jouant pour l'éternité dans la rivière, de bagnards perpétuellement condamnés à la pose.

Philippe Le Stum,
Conservateur du Musée départemental breton