La musique bretonne s’invite à l’Olympia
Ce concert a eu lieu dans le cadre d’un Musicorama proposé par Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe 1. Pour en saisir toute l’importance, il faut donner une partie de la liste de ceux qui sont passés dans cette émission : Leonard Cohen, Peter, Paul and Mary, Simon & Garfunkel, the Band, the Byrds, Chuck Berry, Jimi Hendrix, Sly and the Family Stone, Janis Joplin, Judy Collins, Pete Seefer, Joan Baez, Richie Havens, Buffy Sainte-Marie…
Une foule enthousiaste se pressait à l’Olympia, des gwenn ha du furent brandis ; il y avait dans la salle à la fois des amateurs de folk et de très nombreux Bretons de Paris et de la région parisienne. Sur la scène, bouillants d’énergie, Alan Stivell : chant, harpes celtiques, flûte irlandaise, bombarde ; Gabriel Yacoub : guitare, dulcimer, banjo, chant ; Rene Werneer : fiddle (peut-être aussi dulcimer) ; Pascal Stive : claviers ; Gerald Levasseur : basse ; Henri Delagarde : violoncelle ; Dan Ar Bras : guitare électrique et acoustique ; Michel Santangeli : batterie ; Serj Parayre : caisse claire écossaise ; Mik Le Biz : bombarde ; Michel Clec’h : flûte.
Le live enregistré à cette occasion rend bien compte du plaisir ressenti ce soir-là par le public, qui applaudit à tout rompre, y compris pendant certains airs. Treize titres figurent sur le 33 tours – ce sont tous, à l’exception du premier, des airs traditionnels arrangés par Stivell : The Wind of Keltia, le très rock Pop Plinn, An Dro, The Trees They Grow High, An Alarc’h (chant de guerre en dialecte de Cornouaille issu du Barzaz Breiz), An Durzhunel, Telenn Gwad, The Foggy Dew (chant en l’honneur des combattants de l’indépendance irlandaise, écrit en 1919), Tha mi sgith, The King of the Fairies, Kost ar c’hoad, la fameuse Suite sudarmoricaine (introduction musicale suivie de la chanson presque paillarde Pardon Spezed) ; et puis, bien sûr, c’est lors de cet Olympia que fut chanté et enregistré Tri Martolod, devenu un véritable tube par la suite, diffusé en radio et chanté à la télévision, souvent demandé ou espéré par le public des concerts de Stivell. Il s’agit d’une ronde à trois pas que l’on rencontre sur toute la côte de Bretagne et plus particulièrement en Sud-Cornouaille. C’est l’histoire de trois jeunes marins partis vers Terre-Neuve qui se transforme en dialogue amoureux avec une servante avec qui le narrateur, pauvre, souhaite se marier. C’est adolescent que le chanteur a découvert cette chanson, recensée par Polig Montjarret sous le titre Tri-ugent martolod (60 marins) dans son recueil d’airs pour cornemuses. Alan l’a adaptée avec cette introduction à la harpe celtique cordée métal si caractéristique et la voici interprétée face à ce public qui se l’approprie immédiatement, avec joie.
La vague Stivell
Pendant le concert, les spectateurs s’étaient presque tous mis à danser, bien que la salle de l’Olympia ne fût pas prévue pour cela et la fête se poursuivit dehors. Dans Racines interdites, Alan Stivell a développé son analyse du concert : « Avec les chansons traditionnelles entendues au cours de sa jeunesse et dont on n’a cessé de lui dire qu’elles étaient vieillottes, niaises ou dépassées, le peuple breton est sur la scène de l’Olympia, dans un endroit reconnu, à la mode […]. Choc psychologique : les jeunes Bretons, attirés par les musiques américaines ou anglaises, réalisent que la musique bretonne les vaut, qu’on peut aussi chanter en breton. Les vieux tabous s’estompent. Un monde refoulé resurgit à grands pas. » De même, il confiera plus tard que jamais, avant, il n’aurait pensé que le concert puisse avoir un tel impact non seulement sur les Bretons, mais aussi sur le public français en général.
La vague – la vogue – de la musique bretonne et celtique était lancée. Dès le mois de mai, l’album live sortit et connut un immense succès ; selon Yann Brekilien, il s’en vendit environ 150 000 exemplaires en un an. Et depuis, beaucoup plus (plus de 2 millions, indique Marie-José Cochevelou) ! Dès l’été, on commença à l’entendre et, à l’automne, Alan Stivell était connu du grand public partout en France. Des tournées à travers le pays suivirent, à travers le monde également, et de nombreux albums, dans lesquels le chanteur et musicien breton reste à la fois fidèle à la tradition et innove en permanence, avec de nouvelles harpes et de nouveaux styles musicaux.
Ce « moment Stivell » exceptionnel permit à de nombreux autres artistes de suivre cette voie et popularisa considérablement non seulement la musique mais la culture bretonne et celtique.