Photo de couverture : les secteurs de terres labourables
possèdent de plus grandes parcelles et un bocage plus lâche.
Photographie : Marc Rapilliard
Cette organisation méticuleuse de la campagne se met en place dès le XVIe siècle afin de répondre aux besoins de la société paysanne. Rien dans cette nature ne fut laissé au hasard. Selon la topographie, l’humidité de la parcelle, la limite de propriété, la desserte paroissiale puis communale, un grand maillage de talus et fossés s’édifie, ponctué de mares, destinées aux animaux, de gués pour « enjamber » les ruisseaux et de carrefours stratégiques souvent marqués par des calvaires.
Les zones de prairies, plus humides, ont souvent conservé un parcellaire plus étroit où les haies ont été préservées. Photographie : Marc Rapilliard
Il est difficile aujourd’hui, après le recul massif du bocage des quarante dernières années, d’imaginer à quel point le bocage breton fut dense et les villages enclavés dans un épais tissu de haies jusqu’au milieu du XXe siècle. D’étroits chemins, parfois « creux », desservaient alors les nombreux hameaux et fermes isolés -où vivaient les fermiers et les métayers- ainsi que les petites bâtisses des journaliers et des domestiques. Nombre de ces constructions ont aujourd’hui disparu mais des ruines subsistent, ici et là, qui témoignent de la très forte humanisation des campagnes.
L'entrée du bourg de Saint-Armel où un ouvrier entretient un fossé. Carte postale, années 1920. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine.
L’organisation de la haie traduit les besoins en bois de tous genres de la société paysanne ou de clôtures pour limiter la divagation du bétail. Ici les haies de grands arbres au tronc régulier alimentaient en bois d’œuvre et de charpente, là-bas un taillis de châtaigniers aux cépées régulières fournissait des piquets de clôture ou des cercles pour les barriques, ailleurs une solide haie de ragosses bien émondées témoigne des besoins en bois de chauffage.
Attelage de bœufs et chevaux au labour, pommiers de plein champ, ragosses et arbres libres au tout début du XXe siècle. Pays de Vitré. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine.
Cette vue aérienne de Betton au début des années 1960 traduit bien la densité du bocage dans le pays de Rennes avant l’intensification agricole. L’abondance des pommiers (vergers et arbres de plein champ) y est particulièrement visible. Carte postale « Gaby ». Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine.
Selon la nature des cultures, selon la topographie et la taille des parcelles, l’organisation des haies varient fortement. Autour des terres labourables des plateaux et des faibles pentes, les haies sont souvent plantées de ragosses et d’arbres taillés afin de limiter la concurrence avec les cultures qui se trouvent au pied (céréales et plantes fourragères).
Les haies d'arbres émondés, comme l'architecture traditionnelle en terre, constituent des éléments très identitaires des campagnes du Pays de Rennes. La Chappelle-Thouarault. Photographie : Alain Amet
Dans les fonds de vallée et les zones humides, l’impossibilité de labourer implique l’installation de prairies naturelles et de parcelles réduites qui s’accommodent fort bien des arbres de haut-jet aux houppiers développés ou encore de haies vives et denses qui constituent de véritables barrières pour enclore le bétail, sans crainte des divagations destructrices et onéreuses pour le paysan.
Cette organisation bocagère est visible sur les cadastres anciens où la répartition des terres cultivables et des prairies témoigne du relief communal. Les fonds de vallées apparaissent ainsi ourlés de chaque côté par de longs et forts talus qui marquent la limite de la pente avec les pairies humides. Ailleurs, d’autres haies soulignent les courbes de niveau afin d’éviter que la terre ne dévale la pente avec les intempéries.
Bon sens paysan, souci de concilier production agricole et production de bois, volonté de marquer la propriété : le bocage est la résultante d’un curieux mariage entre la nature et les usages, où l’histoire laisse de fortes empreintes.
Dans le rapport du paysan avec l'arbre, le talus ou le chemin creux, dans la manière de « conduire » les haies, de les entretenir, chaque pays a développé des pratiques spécifiques qui intéressent l'historien, le géographe et l'ethnologue.
Les prés-vergers traditionnels du pays de Rennes répondaient au besoin en cidre de la ville proche, tandis que les haies fournissaient le bois de chauffage. Photographie : Marc Rapilliard