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Un climat de tensions

L’Armistice puis la signature du traité de paix de Versailles sont bien évidemment d’immenses soulagements. Pour autant, ces réels moments de liesse ne sauraient masquer la réalité d’une entrée en paix qui s’avère des plus difficiles.

Les campagnes souffrent tout particulièrement pendant la Grande Guerre. Elles supportent une large part du bilan humain du conflit, hécatombe qui ne fait qu’empirer avec les ravages de la grippe espagnole. A cela vient s’ajouter une conjoncture économique difficile, et donc des situations sociales délicates qui développent le sentiment d’une fracture grandissante avec la ville, considérée comme privilégiée.
C’est l’un des paradoxes de cette Grande Guerre qui, malgré tous les drames qu’elle occasionne, génère aussi de l’activité. Ainsi, quand le dépôt de prisonniers de guerre de Montfort ferme, ce sont autant de petites échoppes qui se trouvent en grande difficulté puisque les captifs venaient y améliorer le difficile ordinaire de la détention.

 

Des campagnes moribondes

Même si, dans la plupart des fermes, les femmes pallient la mobilisation des hommes, la situation des campagnes au bout de cinq ans de guerre n’est pas ce qu’elle était avant 1914. Pendant le conflit, on a cessé de nettoyer les rivières. En 1922, le Meu est obstrué sur presque tout son parcours, ce qui favorise les crues en hiver et facilite le dessèchement en été. De même, la chasse s’est pratiquement arrêtée, ce qui n’est parfois pas sans conséquences sur la production agricole.

Carte postale. Musée de Bretagne: 970.0049.4054.

Carte postale. Musée de Bretagne: 970.0049.4054.

 

 

Sans doute est-ce d’ailleurs à cause d’un entretien moins bien assuré que l’incendie qui ravage le bois de la Poulinière, près de Montfort, prend sa source. Malgré l’intervention d’une équipe de prisonniers allemands envoyés sur place, le sinistre se propage et détruit près de 3 000 sapins appartenant à la baronne d’Antin. Ce sont donc autant de stères de bois qui ne serviront ni au chauffage, ni à la construction. En juillet 1918, c’est sur le talus herbeux longeant la voie ferrée, au lieu-dit la Nouette, à Breteil, qu’un feu se déclare puis se propage à deux champs voisins pour finalement ravager la ferme de Joseph Coeurdray. Là encore le bilan matériel est lourd : 7 000 à 8 000 francs de dégâts, une quantité importante de foin, une centaine de fagots et 600 bourrées de bois.

 

Une rupture entre ville et campagne ?

En 1918, l’économie est presque toute entière tournée vers la guerre. L’agriculture prend une importance cruciale en ce que produire des pommes de terre, du blé ou tout type d’aliment contribue à assurer la nourriture des poilus qui ne peuvent bien entendu pas partir à l’assaut le ventre vide. Un classique incendie de moisson devient donc synonyme de ravitaillement en moins pour la troupe.

Le matériel et le carburant font aussi défaut. Les moyens de lutte contre les incendies peinent à être renouvelés, faute de fournisseurs. A Montfort, il faut attendre le début des années 1920 pour disposer « d’un matériel moderne » et ainsi réorganiser la compagnie de sapeurs-pompiers.

Affiche. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 14 Fi 29.
 

Le monde rural contribue doublement à l’effort patriotique : en produisant d’une part l’alimentation nécessaire aux villes mais aussi aux armées, et en approvisionnant d’autre part massivement en hommes l’infanterie, cette arme qui déplore les plus forts taux de mortalité. Il n’en faut dès lors pas plus pour que dès le début des années 1920 s’instille dans des campagnes plongées dans une crise économique, sociale, mais aussi morale, l’idée d’une rupture avec la monde urbain.

Le revenu des paysans est un bon indicateur de la crise. En Bretagne, c’est le lait qui constitue un repère. Indispensable aux familles, ce produit subit d’importantes variations de prix. En ville, il alimente bien des discours contre « la vie chère ». Mais le paradoxe est que les prix du marché ne parviennent pas à garantir aux producteurs un revenu décent. Cultivateur à Iffendic, Gaston de Saint-Gilles explique vendre son lait 70 centimes du litre, tarif qui ne lui permet pas de faire face à ses dépenses.

C’est bien l’idée d’un développement à deux vitesses qui apparaît en ce début des années 1920. L’entrée en paix semble donc bien s’apparenter à une perte de cohésion territoriale.

 

La grippe espagnole

La fin de la guerre ne signifie nullement la fin de l’hécatombe. Il y a encore de nombreux décès imputables aux blessures et aux gazages. Mais comme si cela ne suffisait pas, le pays de Montfort est plongé dans une gigantesque pandémie mondiale de grippe espagnole dont le bilan oscille entre 30 et 40 millions de morts, soit 3% de la population mondiale d'alors ! La maladie frappe en trois vagues : au printemps et à l’automne 1918 puis au début de l’année 1919. LLe virus est d’autant plus terrifiant qu’il tue aussi les adultes dans la fleur de l’âge, et pas uniquement les enfants et les personnes âgées. On voit réapparaître certaines peurs millénaires, comme au temps de la peste. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à voir dans cette épidémie un châtiment divin.

Là est donc un des immenses paradoxes de cette entrée en paix : on continue de mourir dans des proportions effarantes puisque la grippe espagnole cause plus de décès que la Grande Guerre elle-même.

 

Le départ des Américains et des prisonniers allemands…

Alors que la France démobilise, le corps expéditionnaire américain prend lui aussi le chemin du retour vers le home sweet home. Ainsi, dès novembre 1918, le gigantesque pont maritime transatlantique s’inverse pour rapatrier les Doughboys vers les Etats-Unis : 100 000 hommes en janvier 1919, plus de 330 000 en mai 1919.

7 mars 1919 : à bord de l’USS Leviathan, des Doughboys de la 27e division de retour de France s’apprêtent à débarquer à New-York. Library of Congress : LC-B2- 4847-3 [P&P].

7 mars 1919 : à bord de l’USS Leviathan, des Doughboys de la 27e division de retour de France s’apprêtent à débarquer à New-York. Library of Congress : LC-B2- 4847-3 [P&P].

 

… des pertes pour l’économie locale

En conséquence, les Américains rendent aux autorités françaises les installations qui leur avaient été prêtées le temps du conflit comme le camp de Coëtquidan. Or un tel changement est loin d’être anodin : les Américains ont constitué un débouché particulièrement précieux pour l’économie locale.

Carte postale. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.

Carte postale. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.

 

De même, les détenus allemands doivent également rentrer chez eux. Le dépôt de prisonniers de guerre de l’abbaye Saint-Jacques de Montfort ferme en 1920. Là encore, cela se traduit par des difficultés économiques accrues pour une population qui, très rapidement, était parvenue à tirer profit de ces captifs.

Carte postale. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.

Carte postale. Archives municipales de Montfort-sur-Meu.

 

Fénélon Passaga

A Montfort, une personne illustre bien ce retour des forces armées sur le pied de paix : le général Passaga. Lieutenant-colonel commandant le 41e RI de Rennes en août 1914, au moment de la mobilisation générale, cet officier de carrière retrouve le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine au printemps 1920 lorsqu’il prend la tête du 10e corps d’armée, à Rennes.

Le général Passaga au Fort de Vacherauville, Verdun 1916. Collection M. Lesueur.

Le général Passaga au Fort de Vacherauville, Verdun 1916. Collection M. Lesueur.
 

Mais sa mission est alors singulièrement différente. Il ne s’agit plus de partir au combat mais au contraire de réduire la voilure. Les finances de l’Etat ne permettent plus d’entretenir de larges contingents. Fénélon Passaga est chargé de dissoudre de prestigieux régiments, comme le 70e RI de Vitré ou le 47e RI de Saint-Malo, et de vendre des bâtiments militaires devenus désormais inutiles, comme la caserne Saint-Georges à Rennes. Il s’agit là d’une tâche particulièrement ardue car cet officier doit, dans le même temps, préserver les qualités militaires du 10e corps d’armée qu’il commande, la tension avec l’Allemagne demeurant encore vive.

Retiré à Montfort, Fénélon Passaga décède le 14 septembre 1939.