Auteur : Fañch Postic / novembre 2016
Chef-d’œuvre de la littérature bretonne et symbole d’un renouveau identitaire ou simple mystification et source du nationalisme breton, partisans et adversaires de La Villemarqué se sont violemment affrontés depuis que la « querelle du Barzaz-Breiz » a éclaté au grand jour en 1867. En 1964, la découverte des carnets manuscrits et leur étude par Donatien Laurent ont permis de jeter une lueur nouvelle sur la question : contrairement à ce qu’affirmaient ses détracteurs, La Villemarqué avait bien recueilli la majorité des matériaux de son Barzaz-Breiz, mais les avait retravaillés selon les méthodes d’édition en vigueur à l’époque de sa première édition, en 1839.
De Quimperlé à Paris
Né à Quimperlé le 7 juillet 1815, Théodore Hersart de La Villemarqué partage son enfance entre cette ville et la campagne de Nizon, près de Pont-Aven, où ses parents possèdent le manoir du Plessix. Député du Finistère en 1815, son père, Pierre Hersart de La Villemarqué, occupe à partir de 1822 le poste de sous-préfet de Quimperlé. Sa mère, Ursule Feydeau de Vaugien, la « dame de Nizon », est très appréciée des fermiers de Nizon et la légende familiale veut qu’en échange des soins qu’elle leur prodigue, elle ait été « payée » en retour par des chansons. C’est elle qui aurait donné le goût de la collecte de chants bretons au plus jeune de ses deux fils, qui lui est affectivement très attaché. Après ses études aux collèges de Sainte-Anne-d’Auray (1824), de Guérande (1828), puis de Nantes (1830), celui-ci gagne la capitale à la fin de 1833, baccalauréat ès lettres en poche, et s’inscrit comme élève libre à l’École des chartes. Il fréquente les bibliothèques et a ses entrées dans les salons littéraires, où figure en bonne place son « cousin » François-René de Chateaubriand.
À Paris, il fait la connaissance d’autres jeunes Bretons, dont le poète Auguste Brizeux, qui se réunissent régulièrement autour de Le Gonidec, le rénovateur de la langue bretonne. Le milieu des années 1830 est l’occasion de banquets bretons où s’expriment des revendications identitaires. La Villemarqué lui-même s’y montre quelque peu virulent dans les odes qu’il compose pour la circonstance et dont on retrouve la teneur en introduction à « Un débris du bardisme », article publié en mars 1836 dans la revue catholique L’Écho de la Jeune France, où il fait paraître son tout premier chant, « La peste d’Elliant ». Persuadé que les gwerzioù permettent encore de retracer une histoire de la Bretagne dont on ne fait que peu de cas dans l’histoire générale de la France, il a commencé, dès 1833, à noter sur des carnets des chants de la région de Nizon, avant d’élargir son terrain d’enquête vers la Haute-Cornouaille.
Le Barzaz-Breiz (1839) : une première
La Villemarqué a très vite l’idée – dès 1837 – de rassembler ses collectes en un recueil. Mais publier les chants tels qu’ils ont été collectés n’aurait pas manqué, à l’époque, de heurter le bon goût du public lettré auquel ils sont destinés. Il se livre donc à un important travail de réfection, habituel chez les éditeurs, à l’image d’un Claude Fauriel dont les Chants de la Grèce moderne (1825) lui servent de modèles. C’est à un travail comparable que s’est livré le Finlandais Elias Lönnrot pour son Kalevala publié en 1835.
Appuyé par des personnalités telles que l’historien Augustin Thierry, le travail de La Villemarqué soulève toutefois quelques interrogations et entraîne le refus du Comité des travaux historiques et scientifiques (créé en 1834) de cautionner le recueil. En 1839 le Barzaz-Breiz paraît donc à compte d’auteur. C’est le premier ouvrage à s’appuyer sur une collecte de chants menée dans l’hexagone. L’écho est généralement favorable, tant en France qu’à l’étranger, et l’ouvrage est rapidement traduit en différentes langues. Encouragé, La Villemarqué propose en 1845 une nouvelle édition qui fait davantage de place aux chants à caractère historique que sont les gwerzioù. Elle provoque en 1852 l’enthousiasme de George Sand, qui place certains « diamants du Barzaz-Breiz » au-dessus des chants de l’Iliade !