De Quimperlé à Paris
Né à Quimperlé le 7 juillet 1815, Théodore Hersart de La Villemarqué partage son enfance entre cette ville et la campagne de Nizon, près de Pont-Aven, où ses parents possèdent le manoir du Plessix. Député du Finistère en 1815, son père, Pierre Hersart de La Villemarqué, occupe à partir de 1822 le poste de sous-préfet de Quimperlé. Sa mère, Ursule Feydeau de Vaugien, la « dame de Nizon », est très appréciée des fermiers de Nizon et la légende familiale veut qu’en échange des soins qu’elle leur prodigue, elle ait été « payée » en retour par des chansons. C’est elle qui aurait donné le goût de la collecte de chants bretons au plus jeune de ses deux fils, qui lui est affectivement très attaché. Après ses études aux collèges de Sainte-Anne-d’Auray (1824), de Guérande (1828), puis de Nantes (1830), celui-ci gagne la capitale à la fin de 1833, baccalauréat ès lettres en poche, et s’inscrit comme élève libre à l’École des chartes. Il fréquente les bibliothèques et a ses entrées dans les salons littéraires, où figure en bonne place son « cousin » François-René de Chateaubriand.
Le Barzaz-Breiz (1839) : une première
La Villemarqué a très vite l’idée – dès 1837 – de rassembler ses collectes en un recueil. Mais publier les chants tels qu’ils ont été collectés n’aurait pas manqué, à l’époque, de heurter le bon goût du public lettré auquel ils sont destinés. Il se livre donc à un important travail de réfection, habituel chez les éditeurs, à l’image d’un Claude Fauriel dont les Chants de la Grèce moderne (1825) lui servent de modèles. C’est à un travail comparable que s’est livré le Finlandais Elias Lönnrot pour son Kalevala publié en 1835.
Appuyé par des personnalités telles que l’historien Augustin Thierry, le travail de La Villemarqué soulève toutefois quelques interrogations et entraîne le refus du Comité des travaux historiques et scientifiques (créé en 1834) de cautionner le recueil. En 1839 le Barzaz-Breiz paraît donc à compte d’auteur. C’est le premier ouvrage à s’appuyer sur une collecte de chants menée dans l’hexagone. L’écho est généralement favorable, tant en France qu’à l’étranger, et l’ouvrage est rapidement traduit en différentes langues. Encouragé, La Villemarqué propose en 1845 une nouvelle édition qui fait davantage de place aux chants à caractère historique que sont les gwerzioù. Elle provoque en 1852 l’enthousiasme de George Sand, qui place certains « diamants du Barzaz-Breiz » au-dessus des chants de l’Iliade !
La « querelle du Barzaz-Breiz »
En 1867, après la publication d’une troisième édition, plusieurs voix s’élèvent pour regretter une méthodologie qui, trente ans plus tôt, avait sa raison d’être, mais qui ne tient pas compte des exigences scientifiques prônées par une « nouvelle école critique ». Invité à s’expliquer et à présenter ses documents d’enquêtes au Congrès celtique international qui se tient en octobre 1867 à Saint-Brieuc, La Villemarqué ne s’y rend pas. Le ton, jusqu’alors courtois, change après la parution, pendant le congrès, de la réédition du Catholicon de Jehan Lagadeuc par René-François Le Men, archiviste du Finistère : dans sa préface, ce dernier attaque violemment l’auteur du Barzaz-Breiz, l’accusant d’avoir commis un faux. C’est le début de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler « la querelle du Barzaz-Breiz », une controverse qui atteint son paroxysme au congrès des sociétés savantes de Saint-Brieuc, en 1872, où François-Marie Luzel traite de « l’authenticité des chants du Barzaz-Breiz ». Elle se poursuivra pendant plus d’un siècle, opposant ceux qui considèrent l’ouvrage comme le chef-d’œuvre de la littérature bretonne, et ceux pour lesquels La Villemarqué, à l’image de l’Écossais MacPherson, n’est qu’un simple faussaire qui a sciemment cherché à légitimer la naissance et le développement d’un nationalisme breton. Le débat prendra un tour nouveau en 1964, avec la découverte des carnets manuscrits de collecte et leur étude par Donatien Laurent : contrairement à ce qu’affirmaient ses détracteurs, La Villemarqué possédait une connaissance suffisante de la langue bretonne pour être capable de noter en breton, et avait bien recueilli la majorité des matériaux de son Barzaz-Breiz. Le débat s’est depuis quelque peu dépassionné, et l’on peut aujourd’hui, à l’image de Nelly Blanchard, réexaminer le contenu du Barzaz-Breiz dans le cadre littéraire – romantique notamment – qui fut celui de sa rédaction.
Les autres facettes de La Villemarqué
Devant le succès du Barzaz-Breiz et la controverse dont il a été l’objet, les autres facettes de La Villemarqué sont aujourd’hui quelque peu oubliées. Très intéressé par l’histoire et la littérature des pays celtiques – et tout particulièrement du pays de Galles, où il a été fait barde en 1838 –, inaugurant en quelque sorte les relations « interceltiques », il a multiplié articles et ouvrages qui l’ont imposé comme une personnalité scientifique de premier plan, tant en France qu’à l’étranger : nommé membre correspondant de l’Académie de Berlin en 1851, grâce à l’appui de Jacob Grimm, il est entré à l’Institut en 1858, après son élection à l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
D’une grande curiosité, La Villemarqué s’intéresse également à l’archéologie, à l’histoire, et participe activement au développement de l’Association bretonne, dont il dirigera la classe d’archéologie, à celle de la Société archéologique du Finistère, qu’il présidera de 1876 à sa mort en 1895. Il s’investit par ailleurs très tôt dans les conférences Saint-Vincent-de-Paul fondées par son ami Frédéric Ozanam et s’essaiera fugitivement à la politique en se présentant, sans succès, aux élections de 1849.
Quoique l’on pense de l’attitude de La Villemarqué, il a eu le mérite de montrer la voie. À son exemple, contre parfois, des Bretons se sont lancés à leur tour dans la collecte des traditions orales, et le débat autour des chants du Barzaz-Breiz a permis de jeter les bases méthodologiques des collectes et publications de littérature orale. Depuis 1839 l’ouvrage a été régulièrement réédité et traduit dans de nombreuses langues, et les chants du Barzaz-Breiz sont toujours bien présents dans le répertoire des chanteurs bretons d’aujourd’hui.