Face à la variabilité des sociétés dans l’espace et dans le temps, le végétal fait figure de témoin immuable. En tant que marqueur fiable, il permet de comparer les comportements sociaux relatifs aux plantes dans différentes régions.
Une recherche menée en Centre-Bretagne sur les mutations du monde paysan des années 1950 et 1960 révèle la minceur de la relation entretenue traditionnellement avec la flore sauvage. Elle se caractérise notamment par un faible recours aux plantes médicinales ainsi qu’un rejet marqué, spécifique au secteur d’étude, de la flore sauvage comestible (pissenlit, cresson, oseille...). Des enquêtes conduites sur d’autres terrains (pays de Rennes, pays du Mené, Pays vannetais, Nord-Trégor, Centre-Ouest-Bretagne) permettent de commenter des disparités géographiques notoires. Les résultats tendent à montrer une attitude de la population de l’ouest de la Bretagne relativement distante face aux végétaux sauvages. Les soins de santé seraient presque exclusivement externes et seraient moins diversifiés que dans l’est. Pour la sphère articulaire, les tisanes sont mises à l’écart et laissent la place aux usages externes, d’action révulsive (recours au tubercule de tamier ou aux flagellations d’ortie). Dans les secteurs isolés géographiquement, comme le Centre-Bretagne, la mise à distance des plantes sauvages mangeables au même titre que les champignons résulterait, d’une part, d’une moindre influence des modes alimentaires modernes, d’origine urbaine. D’autre part, le refus d’ingérer du sauvage traduirait de la part de ce milieu paysan, plus modeste que bien d’autres, une volonté issue d’une construction identitaire de ne pas être assimilé à un monde archaïque.
Tout se passe comme si l’incorporation du végétal reflétait le passage d’une barrière sélective, la transgression de l’ordre corporel par l’ingestion d’éléments du monde sauvage craint et quasiment de l’ordre du tabou.