La collaboration en Bretagne

Auteur : Christian Bougeard / juin 2017
Sous l’occupation allemande, il faut distinguer deux types de collaboration avec l’occupant : la collaboration d’État mise en place volontairement par le maréchal Pétain et le régime de Vichy à la suite de la rencontre de Montoire (24 octobre 1940), et le collaborationnisme, le choix par une toute petite partie des Français de se mettre au service de l’Allemagne nazie pour des raisons politiques, idéologiques ou bassement matérielles. La Bretagne, occupée du 18 juin 1940 à l’été 1944, et même mai 1945 pour les poches de Lorient et de Saint-Nazaire, n’échappe pas à ces deux phénomènes.

La collaboration d’État

Soumis à la tutelle directe des Allemands (censure de la presse, exigences de répression des dissidents et résistants) et à celle plus lointaine de Vichy, les représentants de l’État français – le nom du régime –, les préfets et l’administration (police, gendarmerie, ravitaillement, Éducation nationale), appliquent les politiques de Pétain et de ses gouvernements.
S’efforçant de répondre aux exigences allemandes, elles sont de plus en plus impossibles à atteindre (prélèvements de main-d’œuvre, impositions agricoles). Ces politiques de collaboration sont appliquées sur le terrain par les préfets – dont certains militent pour la Révolution nationale –, les préfets régionaux de Rennes (après la création en juin 1941 de la région Bretagne à quatre départements) et d’Angers (incluant la Loire-Inférieure), et les intendants de police.

Afin de compenser la déception de ceux qui avaient cru aux proclamations de provincialisme, le préfet de région Quenette met en place en octobre 1942 un Comité consultatif de Bretagne (CCB) chargé des questions culturelles et linguistiques, composé de 22 membres, des notables avec Yann Fouéré mais sans les ultras du Parti national breton (PNB).

Le comité consultatif de Bretagne - 1943 : photo officielle du comité consultatif de Bretagne réuni au château de Josselin. De gauche à droite : Francis Even, Pierre Mocaer, abbé Mary, abbé Jean-Marie Perrot, Cornon (architecte des monuments historiques) Taldir, le sénateur Roger Grand, le préfet Marage, R. de l’Estourbeillon, Jean Quenette, préfet régional (marqué d’une croix), A. Dezarrois (caché derrière le préfet), Mme la duchesse de Rohan, le recteur Souriau, Prosper Jardin, Yann Fouéré, James Bouillé, le professeur Guéguen, Mme Galbrun, Léon Le Berre, René Daniel, le duc de Rohan, Joseph Martray (tournant le visage), Florian Le Roy - Fondation Yann Fouéré

En Bretagne comme ailleurs, signe d’une collaboration politique, administrative et policière avec l’occupant et de la volonté d’instaurer un nouveau régime, les politiques d’épuration (des municipalités, en général de gauche) et d’exclusion (des fonctionnaires juifs, communistes ou francs-maçons) sont appliquées. Dès 1940, à la demande des Allemands, c’est Vichy qui recense les Juifs français et étrangers dont certains réfugiés lors de la débâcle ; en 1942, l’administration française les surveille (port de l’étoile jaune) et procède aux rafles.
De même, de 1940 à 1942, la police et la gendarmerie internent dans des camps des communistes fichés et traquent les premiers résistants (PCF, Front national, FTP). La presse régionale (L’Ouest-Éclair, Le Phare de la Loire, La Dépêche de Brest) soutient la politique vichyste, tout comme La Bretagne, créée en mars 1941 par le « régionaliste » Yann Fouéré (en réalité en contact étroit avec les ultras du mouvement breton) qui met aussi la main sur La Dépêche de Brest (mars 1942).

Mais la société bretonne qui a rejeté immédiatement l’occupant allemand réagit : on oppose de plus en plus l’inertie et le refus à la collaboration d’État ; certains cadres s’engagent dans la Résistance, obligeant les polices nazies et la Wehrmacht à prendre en charge la répression (deux préfets sont arrêtés dans les Côtes-du-Nord en 1943 et 1944) et le maintien de l’ordre.

Le collaborationnisme

Intellectuel, politique, policier (agents travaillant pour l’ennemi dans la traque des résistants) ou militaire (milices armées des partis), le collaborationnisme, très minoritaire, a choisi de se mettre au service de « l’ordre nouveau » nazi pour des raisons idéologiques (le fascisme français et sa variante bretonne) et parfois pécuniaires.

Plusieurs organisations et partis nationaux, autorisés en 1941 et financés par l’occupant, se livrent à une rude concurrence pour attirer une population qui se dérobe puis les rejette. Face aux très faibles effectifs, tous les coups sont permis : entrisme, noyautage, double ou triple appartenance.

Organisation pétainiste dirigée par l’écrivain Alphonse de Châteaubriant, responsable du journal La Gerbe, le groupe Collaboration se veut le fer de lance de la Révolution nationale tout en voulant servir de pont avec les partis les plus ultras. Il organise dans les villes des conférences à vocation culturelle ou artistique et attire en 1942 et 1943 bon nombre de notables de droite séduits plus ou moins longuement par le régime (un millier en Loire-Inférieure, 250 à 300 dans les Côtes-du-Nord).

Deux partis fascistes français dominent la dizaine de groupuscules collaborationnistes qui s’agite : le très anticommuniste Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot (exclu du PCF en 1934) et le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat (qui a quitté la SFIO en 1933). Le MSR et le Parti franciste de Marcel Bucard n’ont qu’une existence épisodique très limitée, sauf dans le Morbihan et en Loire-Inférieure pour les francistes, même si leur activisme fait grand bruit à Rennes et à Nantes. Ces partis ne comptent que quelques dizaines d’adhérents dans les départements bretons, sauf en Loire-Inférieure où leur recrutement est plus conséquent (environ 2 000 avec le groupe Collaboration, dont 80 % à Nantes).
Le PPF compte 140 adhérents dans le Finistère en 1942, 150 à 300 en Loire-Inférieure, des chiffres comparables à ceux du RNP dans ces deux départements. Les permanences urbaines de ces groupuscules deviennent des cibles des résistants, notamment communistes. Leurs chefs sont visés par des attentats (Doriot à Rennes) et quelques-uns sont exécutés à la fin 1943 et en 1944. En 1944, les Jeunesses des partis collaborationnistes forment des milices qui, comme auxiliaires des Allemands, traquent les résistants, mais l’engagement dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) pour aller se battre sur le front russe n’a pas fait recette (environ 300 dont 170 en Loire-Inférieure).

Les nationalistes bretons

Les chefs du PNB dissous en 1939, dont Olier Mordrel et Fransez Debauvais, réfugiés à Berlin, profitent de la débâcle française pour rentrer en Bretagne dans les fourgons de l’occupant. Ils tentent de mettre en œuvre leur projet d’indépendance de la région, ce dont les Allemands ne veulent pas pour d’évidentes raisons stratégiques. À Pontivy, le 3 juillet 1940, ils créent un Conseil national breton, embryon d’un « gouvernement ». Mais le 29 juillet, des milliers d’habitants (6 000 ?) de Pontivy manifestent contre la présence de Célestin Lainé et de ses hommes dans le château des Rohan qu’ils ont réquisitionné. Les séparatistes lancent L’Heure bretonne, l’hebdomadaire du nouveau PNB, qui prend la suite de Breiz Atao. C’est un journal antisémite, anticommuniste et raciste qui critique Vichy, de Gaulle et les Anglais, exalte « l’Europe nouvelle » nazie et prône la collaboration. Instrumentalisé et financé par l’occupant, le PNB, très hiérarchisé, se dote début 1941 d’un service d’ordre, les Bagadoù Stourm, dirigé par le sculpteur Yann Goulet.

Une vingtaine de membres des Bagadoù stourm (le service d’ordre du parti) alignés à la parade lors du congrès du PNB à Kerfeunteun, près de Quimper le 10 décembre 1941 - Collection privée Kristian Hamon

Conscients du rejet des séparatistes bretons par la population, les Allemands suscitent en décembre 1940 « une révolution de palais » qui écarte les deux leaders et place à la tête du PNB les frères Delaporte, venus de la mouvance catholique de l’abbé Perrot. Ils poursuivent la politique de collaboration. À son apogée en 1942-1943, le PNB delaportien compte 1 200 à 1 500 adhérents, dont 300 très actifs, ainsi que des sympathisants, ce qui en fait de loin le principal parti collaborationniste en Bretagne.

Pourtant, dès ses débuts, ce parti s’est heurté partout à l’hostilité des Bretons (insultes lors de la vente de L’Heure bretonne). Issus du PNB, quelques agents rémunérés par les polices allemandes font des ravages contre la Résistance bretonne, de même que le Kommando de Landerneau dirigé par l’Allemand Herbert Schaad. Outre l’appui au PNB contre les autorités françaises, les cercles allemands celtophiles exploitent la revendication linguistique, notamment à travers le linguiste brestois Louis Némo-Roparz Hemon, qui anime sur Radio Rennes-Bretagne, dirigée par le professeur Weisgerber, des émissions en breton, d’ailleurs peu audibles en Basse-Bretagne pour des raisons techniques. En octobre 1941, Weisgerber organise à Rennes un Institut celtique de Bretagne (ICB), dirigé par Roparz Hemon, qui doit attirer vers le Reich les élites bretonnes. En 1942, l’ICB compterait « 350 personnalités marquantes ». La porosité est grande entre le Comité consultatif de Bretagne (CCB) et l’ICB dans la mesure où certains se retrouvent dans les deux institutions.

Congrès des cadres du PNB de l'arrondissement de Quimper le 10 décembre 1941 avec les Bagadoù Stourm au fond et Raymond Delaporte dans le fauteuil - Collection privée Kristian Hamon

À partir de 1943, le PNB delaportien tente de prendre ses distances avec ses protecteurs, ce qui provoque à la fin de l’année la scission de l’aile dure et militarisée de Célestin Lainé qui veut former une « armée bretonne » (Lu Brezhon). De fait, Lainé crée à Rennes le groupe Cadoudal, rebaptisé Bezen Perrot après l’exécution de l’abbé Perrot à Scrignac par des FTP. Intégrés dans la Waffen SS, sous uniforme allemand, 70 à 80 hommes du Bezen vont jusqu’au bout de la collaboration militaire, participant à la destruction des maquis à l’été 1944, s’enfuyant en Alsace et en Allemagne, puis se réfugiant en Irlande.

Les autres formes de collaboration

La délation, fort répandue pour diverses raisons, facilite la tâche de Vichy et de l’occupant vis-à-vis des dissidents et des résistants. La collaboration économique est aussi une réalité importante : parfois, pour la survie de l’entreprise, il faut accepter les commandes allemandes. Mais pour certains c’est une aubaine, en profitant du pillage de l’économie française par le Reich.

En ces temps de pénurie, le marché noir (à distinguer du marché gris qui permet aux producteurs et commerçants de gagner de l’argent mais sans trop d’abus) est source d’enrichissements rapides. Les plus gros trafiquants travaillent pour l’occupant et sont protégés par eux. Le secteur de la restauration (cafés, auberges) et de l’hôtellerie, le plus visible, tire profit de la forte présence de soldats allemands.

Ouvrier à la construction de la base sous-marine de Saint-Nazaire - Coll. Luc Braeuer - Musée du Grand Blockhaus

De même, les grands chantiers militaires (terrains d’aviation, bases sous-marines puis Mur de l’Atlantique à partir de 1942) voient l’essor fulgurant de PME bretonnes du bâtiment et des travaux publics qui travaillent pour l’Organisation Todt. Mais les chantiers importants dans la région sont effectués par des entreprises extérieures, en association avec des entreprises allemandes. Tous ces secteurs seront sanctionnés lors de l’épuration économique à la Libération. Si des travailleurs locaux, au chômage ou attirés par de hauts salaires, vont s’embaucher sur ces chantiers en 1940-1941, ils sont de plus en plus remplacés par une main-d’œuvre venue d’autres régions ou d’autres pays européens.

En outre, très peu de travailleurs de la région partent volontairement en Allemagne au début de la guerre, malgré la propagande et les avantages promis ; en 1942, ils ne répondent pas plus à la Relève lancée par Pierre Laval. Ceux qui partent en 1942 et en 1943 sont des requis, c’est-à-dire des travailleurs forcés (Relève puis STO). La collaboration sentimentale a aussi existé. Les femmes qui y ont succombé, ou en ont été accusées, ont souvent payé un lourd tribut pendant la Libération (exécutions sommaires, tontes publiques).

Cette affiche cherche à culpabiliser ceux qui refusent de partir travailler en Allemagne - Archives départementales des Côtes-d'Armor. Cote du document : 25 FI 54

La propagande allemande cherche à séduire les mères de famille pour que leurs maris partent travailler en Allemagne - Archives départementales des Côtes-d'Armor. Cote du document : 25 FI 88

Occupée pendant quatre ans, la Bretagne a été confrontée aux politiques de collaboration mises en œuvre au quotidien par le régime de Vichy. En dehors d’une fraction engagée de l’Emsav, qui a discrédité le mouvement breton pour longtemps, la collaboration politique, policière et militaire n’a concerné qu’une toute petite minorité d’habitants, la collaboration économique étant plus difficile à évaluer. La visibilité du PNB, notamment par son journal L’Heure bretonne, sa permanence tout au long de l’Occupation en comparaison avec les groupes collaborationnistes français plus ou moins éphémères, et l’engagement sous l’uniforme de la Waffen SS du Bezen Perrot de Célestin Lainé ont marqué la mémoire de la guerre. Il ne faudrait toutefois pas oublier le rejet de l’occupant, l’anglophilie et le gaullisme des Bretons, ainsi que les nombreux engagements dans les Forces françaises libres, dans les réseaux et les mouvements de résistance.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Christian Bougeard, « La collaboration en Bretagne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 1/06/2017.

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Bibliographie

  • Hamon Kristian, Les nationalistes bretons sous l’Occupation, Le Relecq-Kerhuon, An Here, 2001.
  • Bougeard Christian, La Bretagne de l’Occupation à la Libération (1940-1945), Rennes, PUR, 2014.
  • Carney Sébastien, Breiz Atao ! Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), Rennes, PUR, 2015.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité