Au carrefour des XIXe et XXe siècles, pas de fête locale sans fanfare. Partout dans le pays, les ensembles musicaux égaient les dimanches de printemps et les manifestations estivales. L’administration pénitentiaire, soucieuse de rassurer les populations sur le bien-fondé de son entreprise, met un point d’honneur à ce que chaque maison de correction publique possède la sienne. L’objectif premier est de permettre aux pupilles musiciens libérés, lorsqu’ils rejoignent les casernes, d’y trouver une place de choix dans les groupes musicaux. À Belle-Île-en-Mer, la « fanfare » est créée dès l’ouverture de l’établissement. Elle a un profil militaire classique (tambours, cuivres) et devient au début du XXe siècle une « harmonie » lorsqu’elle se dote de plusieurs clarinettes et d’une contrebasse. Un contremaître musicien est préposé à sa direction.
L’analyse de la presse locale d’époque permet de constater combien la fanfare de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer offre une musique en trompe-l’œil. Si la quasi-totalité des articles évoquant l’institution en donnent une image négative (évasions, mutineries, rixes avec des autochtones…), ceux relatant les prestations de l’ensemble musical de l’établissement sont au contraire très positifs. Durant l’été 1895, les pupilles musiciens sont à Port-Navalo (56). L’Avenir du Morbihan est enchanté par leur prestation : « Nous devons un mot spécial à la musique des petits pupilles de la Colonie de Belle-Île-en-Mer qui a certainement ajouté un grand charme à la journée. Le sympathique directeur de cet établissement insulaire a été bien inspiré, comme il l’est toujours, en nous ménageant cette surprise. Tous nos compliments à ses petits artistes. » Deux ans plus tard, la fanfare inaugure les courses vélocipédiques de Vannes en véritable vedette : « À deux heures, aux accents d’un pas redoublé plein de brio et d’entrain, la musique de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer a fait son entrée au vélodrome suivie d’une foule immense, et a pris place sur la pelouse près de la tribune du jury. » C’est ainsi que les notes font oublier les coups et que les spectateurs enjoués pensent être les témoins d’une réussite totale, celle d’un projet correctionnel qui transformerait les jeunes délinquants en virtuoses des instruments à vent. De retour à Haute-Boulogne, ces derniers retrouvent pourtant les dortoirs cellulaires, la fatigue et les mauvais traitements.