La grippe espagnole est décidément un objet historique paradoxal. Difficile à pister à l’échelle locale, elle permet néanmoins, çà-et-là, de prendre la mesure des conditions d’hygiène qui peuvent régner en Bretagne à la toute fin des années 1910. C’est notamment ce que montre un court article, malheureusement non signé, publié le 5 mars 1919 dans l’édition rennaise de L’Ouest-Éclair.
Rédigé sur le mode du « reportage de terrain », cet article emmène le lecteur en plein cœur du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine, à la gare, dans un bureau. Celui-ci, nous apprend le journaliste, est en apparence d’une propreté à toute épreuve. Il est en effet « tellement bien ciré qu’on l’eût cru verni » et est de surcroît raccordé au chauffage central. Mais les apparences sont parfois trompeuses et masquent en réalité des conditions de travail qui, sur le plan de l’hygiène, ne sont pas sans poser problème.
En effet, dans une pièce de 4,50 mètres carrés s’entassent sept employés. Ceux-ci ne disposent de surcroît d’aucun vestiaire et doivent déposer leurs vestes et manteaux… dans un local où est entreposé le charbon pour le chauffage ! Les toilettes sont inexistantes et les employés ne disposent d’aucun lavabo pour se laver les mains. Ils n’ont à leur disposition qu’un seul et unique seau. Pour autant, il est interdit de s’en servir car celui-ci est exclusivement dévolu aux secours… en cas d’incendie.
On le voit, les conditions d’hygiène dans les bureaux de la gare de Rennes laissent, en 1919, tellement à désirer qu’il n’est sans doute pas exagéré de parler de locaux insalubres. On imagine combien une telle promiscuité peut concourir à la propagation du virus de la grippe, dimension qui paraît d’autant plus critique qu’une gare est, par définition, un lieu de grand passage. D’ailleurs, non sans malice, le journaliste de L’Ouest-Éclair pose le seul diagnostic qui vaille à propos de ces cheminots rennais : « ce qui est étonnant c’est qu’il en reste encore quelques-uns debout ».