Partout en Bretagne la même antienne se retrouve dans les archives : les Doughboys et leur faramineux pouvoir d’achat seraient responsables d’une hausse des prix qui pénalise massivement les civils, les empêchant d’accéder aux denrées les plus élémentaires. Symbole d’un « âge d’or » qui ne tient pas ses promesses, l’inflation est un mal attribué à l’Oncle Sam. Mais qu’en est-il réellement ?
Reprenant le dossier au cours des années 1970, Yves-Henri Nouailhat, dans une classique configuration d’histoire sociale, montre qu’il n’en est en réalité rien. S’intéressant spécifiquement aux villes de Nantes et Saint-Nazaire, l’historien rappelle que l’inflation n’est pas limitée à ce seul secteur. Ainsi, la ville de Rennes, qui ne reçoit pourtant que peu de membres du corps expéditionnaire, connaît aussi une redoutable hausse du coût de la vie. La situation est telle que le maire, Jean Janvier, prend des mesures exceptionnelles qui ne sont pas sans relever d’une certaine municipalisation de la vie économique. Pour réguler les prix, la commune créée des boucheries, des charcuteries, des boulangeries ou encore des potagers publics…
Mais, si les soldats Américains ne sont pas responsables de l’inflation, comment interpréter le discours qui, immanquablement, leur attribue cette hausse des prix ? En réalité, bien qu’erronée sur un plan strictement économique, cette affirmation dit le poids écrasant de la guerre, de la mort de masse, des pénuries et surtout d’une coexistence franco-américaine qui est au quotidien d’autant plus lourde que les hommes sont, eux, absents. La date du 11 novembre 1918, faussement comprise comme étant la fin du conflit, marque de ce point de vue un engrenage supplémentaire. Alors qu’ils n’entrent en guerre qu’en 1917 et n’arrivent sur le champ de bataille qu’au printemps 1918, les soldats Américains prennent le chemin du retour au pays dès l’Armistice signé. Les poilus, eux, doivent attendre de longs mois et la signature du traité de Versailles pour être démobilisés. Un décalage qui a de quoi alimenter biens des tensions…