Danser jusqu’au bout de la nuit, avec des danseurs et des danseuses de tout âge, à dix, cent, mille ou dix mille, dans un hangar, une salle de spectacle, ou sous les étoiles… Bienvenue au festnoz ! Littéralement « fête de nuit » en breton, cet événement très spécifique à notre région connaît aujourd’hui un succès qui ne se dément pas. On pourrait imaginer que le fest-noz a toujours existé sous cette forme, tant il semble ancré dans le cœur et les pieds des danseurs. Or, il n’en est rien. Ce type de rassemblement n’existe en réalité que depuis les années 1950 et n’a pas toujours porté ce nom. Pour comprendre cette évolution, il faut faire un saut en arrière et revenir au début du XXe siècle.
Danser chez soi
Dans la société paysanne traditionnelle, on danse surtout avec la famille et le voisinage, à l’occasion des grands travaux agricoles, mais également lors de veillées au sein du foyer. Chant et danse sont alors intimement liés : les chanteurs se trouvent dans la ronde, au milieu des danseurs et danseuses. On pratique souvent une seule danse, celle de son terroir : gavotte Calanhel dans le pays de Callac, avant-deux de Bazouges, ridée dans le pays vannetais ou encore dañs round dans le pays pagan. On danse également à l’occasion de fêtes plus importantes, lors des noces ou des pardons. C’est l’occasion de faire appel à des musiciens : sonneurs de bombarde et de binioù kozh, accordéonistes, violonistes, clarinettistes, ou encore joueurs de vielle ou de veuze. La plupart du temps, ces musiciens sont aussi meuniers, tenanciers de bistrots, horlogers ou même entremetteurs pour les mariages ! Mais peu à peu, ces pratiques disparaissent. Dans l’entre-deux-guerres, on assiste en effet à la naissance des bals dans les bourgs de campagne, très prisés des jeunes. « Le fest-noz semble alors condamné à une irrémédiable disparition au profit des bals en salle, animés par les joueurs d’accordéon ou par de petites formations, symboles d’une modernité recherchée », explique Fañch Postic, ethnologue. Durant l’Occupation, un phénomène inattendu se produit : les bals étant interdits, certaines danses traditionnelles sont à nouveau pratiquées à la campagne, à l’abri des regards.
Au diapason de son temps
Dans les années 1950, la culture bretonne sort timidement de l’ombre. Des bagadoù et cercles celtiques se développent à grande vitesse en Bretagne et à Paris. C’est d’ailleurs un féru de chant et de danse, Loeiz Roparz, qui devient l’artisan du renouveau du fest-noz. En 1954, à Poullaouen, ce jeune homme organise un premier « concours de kan ha diskan » (de chant et contre-chant) afin de former des couples de chanteurs. C’est le début du fest-noz tel que nous le connaissons aujourd’hui. « Il se déroule dans une salle du bourg et non plus dans une ferme, les chanteurs ne sont pas dans la danse, mais sur une estrade, derrière un micro », souligne Fañch Postic. Le succès est au rendez-vous : la formule de ce « bal breton », comme on le nomme alors, est adoptée par les Fêtes de Cornouaille en 1964.
Où sont les filles ?
Lieux de rencontres et de convivialité, des festoù-noz sont aujourd’hui organisés à travers toute la Bretagne et même au-delà. Depuis le 5 décembre 2012, cette fête est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Les Bretonnes et les Bretons sont si accros que même durant le confinement en 2020 ils sont parvenus à danser en visio ! Aujourd’hui, un nouveau défi est à relever : donner davantage de place aux femmes sur scène. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans les 12 festoù-noz les plus fréquentés en Bretagne, on ne compte que 9 % de femmes artistes sur scène. Le fest-noz s’est toujours adapté à l’air du temps. Gageons que, sur cet aspect aussi, il fera sa métamorphose.