N’eo ket memes brezhoneg / Ce n’est pas le même breton
Une remarque souvent faite à propos de la façon dont on parle le breton aujourd'hui est : « N’eo ket memes brezhoneg / Ce n’est pas le même breton », en référence au passé. Mais pourquoi la maîtrise du breton diffère-t-elle tellement de nos jours ? La réponse est simple : à cause de l’interruption de la transmission intergénérationnelle qui s’est produite dans les années 1950.
Cette interruption a obligé les Bretons à trouver de nouvelles façons – parfois très créatives – d'apprendre leur langue hors de la transmission familiale. Il existe au moins deux approches pour revitaliser une langue : l’approche « statique » et l’approche « dynamique ». D’un côté, dans un cadre discursif « statique », la langue minoritaire a une valeur essentiellement nostalgique et l'accent est mis sur le maintien de la communauté linguistique traditionnelle. Ce point de vue justifie des affirmations selon lesquelles les accents des enfants scolarisés à Diwan, par exemple, manquent de « couleur », ou que la langue des soi-disant « néo » bretonnants est contaminée du français… De l’autre côté, selon une idéologie linguistique « dynamique », la langue minorisée est promue comme une source d’identité partagée pour tous. Ce point de vue vise à augmenter le nombre de locuteurs, à élargir les domaines de la langue minoritaire et à accroître son prestige.
Clarification idéologique
Pour de nombreux activistes des langues minoritaires, l’outil le plus évident est la transmission intergénérationnelle. Mais celle-ci est en réalité problématique car quantitativement tombée à des niveaux si bas que le renouvellement des générations n’est plus assuré.
Mais il est une question qui reste en suspens, c’est celle du but poursuivi par le mouvement de revitalisation de la langue. En d’autres termes, quel type de breton le mouvement breton a-t-il voulu créer ? La question ne semble pas avoir été posée, ou en tout cas pas de manière suffisamment précise. La transmission du breton à travers les écoles est bien sûr une très bonne idée, mais il ne faut pas s'étonner que la démarche aboutisse à des brittophones qui parlent différemment de leurs grands-parents.
L'authenticité, un point de discorde
La question de l'authenticité peut devenir un point de discorde dans les communautés linguistiques minoritaires. Les pratiques linguistiques des « néos » peuvent être considérées comme « inauthentiques », en raison de l'influence française sur la phonétique et sur la phraséologie bretonne. Le problème avec des généralisations aussi radicales est que les nouveaux locuteurs, en tant que composante particulière de la communauté brittophone actuelle, sont, pour le formuler rapidement, comme radiés. En effet, dans cet environnement, on ne considère ni les niveaux différents et individuels de compétence linguistique (qui ne sont en aucun cas fixes), ni la faible compréhension des processus de revitalisation de la langue. Sans compter que ceux-ci pourront avoir une signification différente suivant les individus. Dès lors, il est difficile d’affirmer de manière convaincante que certains résultats sont plus souhaitables (voire authentiques) que d'autres quand des objectifs clairement énoncés n'ont pas été préalablement établis ou acceptés.
Une situation compliquée
La situation est en effet compliquée car les brittophones de naissance tentent de donner un sens à leur position par rapport à ces « nouveaux » locuteurs. Leur présence peut même renforcer un sentiment de double aliénation : d'abord, à partir de souvenirs profonds d'être activement découragé de parler breton publiquement et le sentiment de honte associé au fait d'être bretonnant·e ; ensuite par la présence de locuteurs plus jeunes qui disent parler la même langue qu'eux, mais qui ont un accent nettement différent de ce dont ils se souviennent en grandissant.
Pour les nouveaux locuteurs, qui tentent de renouer avec leur héritage immédiat ou qui résistent symboliquement à la mondialisation en apprenant une langue non majoritaire, cette confusion de la part des locuteurs natifs plus âgés peut conduire à une attitude défensive. Ce qui n'est certainement pas utile dans ces situations, c'est le dénigrement auquel ces nouveaux locuteurs sont parfois soumis – pas nécessairement, il faut le noter, par les bretonnants de naissance eux-mêmes, mais par des universitaires et autres commentateurs qui prennent la position du « native speaker » (locuteur natif) et qui font des déclarations en leur nom, souvent au détriment des jeunes qui tentent de (ré)apprendre la langue en question. On devrait essayer de comprendre plutôt ce que parler breton veut dire pour tous ses usagers, acteurs qui en effet créent leur propre « authenticité » chaque fois qu’ils parlent.