Mendiants, vagabonds et petits voleurs

Des adolescents victimes d’une justice de classe
Auteur : Julien Hillion / mars 2023

François Jaunay naît le 1er avril 1871 à Nantes. Sa mère, célibataire et âgée de 19 ans, exerce alors la profession de cigarière. Trois ans plus tard, elle se marie avec M. Jaunay, qui reconnaît l’enfant. À 13 ans, François est jugé par le tribunal correctionnel de Nantes pour vol. Alors qu’il pourrait le condamner à quelques semaines de prison, le juge préfère appliquer l’article 66 du Code pénal. Ce dernier, qui prévoit d’acquitter les mineurs comme ayant agi sans discernement, permet surtout de prononcer leur transfert en maison de correction jusqu’à leur majorité. François débarque à Belle-Île-en-Mer deux mois plus tard, le 2 septembre 1884. Il y reste enfermé jusqu’en janvier 1887.

Le parcours de vie de François Jaunay est à l’image de celui de l’écrasante majorité des garçons des colonies pénitentiaires. La Justice de la IIIe République, considérant que les mendiants, vagabonds et petits voleurs évoluent dans un milieu corrompu, utilise en effet la loi pour les isoler de leur entourage proche. L’utilisation de la terminologie « pupille » dans les archives ne doit donc rien au hasard : elle induit une prise en charge de ces garçons par l’État, en lieu et place de leurs familles. Ces dernières, toujours indigentes et souvent urbaines, doivent attendre en moyenne 4 à 8 ans pour retrouver leurs enfants.

 © Ministère de la Justice - ENPJJ

Les pupilles bellilois ont des profils très différents, allant du handicap mental empêchant l’apprentissage d’un métier, à des capacités intellectuelles permettant l’obtention du certificat d’études durant la détention. Au fil des décennies, la Justice est plus clémente avec les vagabonds et les mendiants. Ils se font donc plus rares à Haute-Boulogne. De même, les garçons arrivent plus âgés à la colonie car les pouvoirs publics se refusent dorénavant à enfermer les enfants. La Statistique pénitentiaire permet enfin d’affirmer que les pupilles bellilois ne sont pas tous orphelins. C’est ainsi que, contrairement à leurs camarades de l’Assistance publique qui grandissent dans l’ignorance de leur milieu d’origine, ils sont susceptibles, une fois libérés, de rejoindre leurs familles. C’est la raison pour laquelle l’administration pénitentiaire met souvent un point d’honneur, lorsqu’elle les libère, à les placer en apprentissage ou à les faire entrer à la caserne.

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Auteur : Julien Hillion, « Mendiants, vagabonds et petits voleurs », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 22/03/2023.

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