Pourquoi une bataille à Auray en 1364 ?
Tout commence le 30 avril 1341 quand le duc Jean III meurt sans héritier direct. Sa nièce, Jeanne de Penthièvre, et son demi-frère, Jean, comte de Montfort, revendiquent tous deux la couronne ducale. L’enjeu concerne aussi le maintien de l’influence française en Bretagne puisque Jeanne est mariée à Charles de Blois, neveu du roi de France. De son côté, Jean de Montfort est aidé militairement par le roi d’Angleterre. Il meurt en 1345 mais son fils, également appelé Jean de Montfort, reprend le flambeau après avoir passé sa jeunesse en Angleterre. Cette guerre est ponctuée de trêves et de négociations. À Évran, en 1363, on prévoit même un plan de partage de la Bretagne entre les deux rivaux. Ce compromis rejeté, chaque camp se prépare à la reprise de la guerre.
Auray assiégé
Durant l’été 1364, Montfort assiège Auray. À ses côtés se trouvent des Bretons, comme Olivier de Clisson, et des Anglais, notamment John Chandos et Robert Knolles. L’objectif est de faire tomber cette place fidèle à Charles de Blois et de se rendre maître du littoral sud de la Bretagne. La ville se rend rapidement mais le château résiste. Les hommes négocient. La garnison accepte de se rendre le jour de la Saint-Michel, le 29 septembre, si elle n’est pas secourue d’ici là. Blois apprend la nouvelle depuis Guingamp. Rejoint par Bertrand Du Guesclin, il rassemble des troupes et marche sur Auray. Les deux armées se trouvent face à face le long de la rivière du Loch, au nord d’Auray. Les chroniqueurs estiment les Franco-Bretons entre 3 500 et 4 000 et les Anglo-Bretons entre 1 800 et 2 900.
La bataille d’Auray
Pierre Le Baud, Compilation des chroniques et histoires de Bretagne, entre 1480 et 1482, Bibliothèque nationale de France, ms fr. 8266, f° 262
Cette enluminure met en scène une légende racontée par Pierre Le Baud. À gauche, Montfort est rejoint par le lévrier de Charles de Blois, qui a quitté son maître la veille. Ce présage est censé lui annoncer sa victoire. À droite, derrière des hommes désarçonnés, Charles de Blois n’est plus protégé, signe de sa mort à venir.
Voir le manuscrit sur Gallica
L’échec des négociations
Les dernières tractations pour éviter une bataille échouent. Dès lors, le combat apparaît inévitable. À la fin du Moyen Âge, on voit encore la bataille comme une ordalie, le jugement de Dieu qui choisit son camp. Celle d’Auray a lieu le 29 septembre, un dimanche et le jour de la Saint-Michel, ce qui lui donne encore plus un caractère sacré.
Comment s’est déroulée la bataille ?
Les sources pour connaître le déroulement de la bataille sont les chroniques, des récits précieux mais orientés. Les plus proches de l’événement sont écrites vers les années 1380 :
- Les Chroniques de Jean Froissart
- La Chanson de Bertrand Du Guesclin de Cuvelier
- Le Livre du bon Jehan par Guillaume de Saint-André.
Au lever du soleil, les deux armées s’avancent à pied pour s’affronter. Les archers anglais sont les premiers à intervenir mais sans succès. Les autres corps d’armée entrent alors en action. La bataille chevaleresque se transforme en un choc sanglant. Le corps-à-corps tourne à l’avantage des Anglo-Bretons, qui réussissent une percée dans les rangs Franco-Bretons. Le comte d’Auxerre puis Du Guesclin sont encerclés et faits prisonniers. Les combattants se retrouvent livrés à eux-mêmes. La panique cède la place à la fuite. Commence alors la chasse, le moment où l’on tue le plus, surtout les simples soldats qu’il est inutile de mettre à rançon.
La bataille d’Auray
Cuvelier, La Chanson de Bertrand du Guesclin, British Library, Yates Thompson, 35, f° 90 v°).
La bataille est représentée ici comme un choc de deux cavaleries alors qu’elle s’est déroulée à pied. Depuis le milieu du XIVe siècle, les Anglais ont mis au point de nouvelles tactiques, comme l’emploi d’archers qui rendent inefficaces les charges de cavalerie lourde.
Voir la miniature sur le site de la British Library
Comment expliquer la victoire des Anglo-Bretons ?
L’utilisation de l’arrière-garde anglaise d’Hugh Calverley est décisive. Selon Froissart, ces hommes se tiennent sur le côté et soutiennent leurs compagnons. Mais selon Cuvelier, ils attaquent par derrière les Franco-Bretons, de manière déloyale, pour les prendre au piège.
Un bilan très lourd
Selon les chroniques anglaises, sur 3 500 Franco-Bretons, 900 sont tués et 1 500 sont faits prisonniers. Montfort n’aurait à déplorer que 7 morts sur 2 000 hommes. Le corps de Charles de Blois est retrouvé parmi les cadavres. Il existe plusieurs versions de sa mort :
- Mort accidentellement au milieu de la mêlée selon Froissart
- Tué par un Anglais selon Cuvelier
- Exécuté sur ordre de Montfort par un Guérandais, Lesnerac, selon une Chronique en prose de Du Guesclin, commanditée par la fille de Blois.
La bataille d’Auray
Edouard Jolin, 1868, Huile sur toile [121,5 x 172,5], musée des Beaux Arts de Rennes [Inv D.868.1.1]. Photo - Salingue JM
Le moment choisi est la découverte du cadavre de Charles de Blois sur le champ de bataille après le combat. Jolin, spécialiste de la peinture religieuse, reprend cet épisode pour valoriser le vaincu. Malgré l’échec de son procès de canonisation en 1376, un culte de Charles de Blois se développe. Il aboutit à sa béatification en 1904.
Voir l’article de Laurent Héry, « La “sainteté” de Charles de Blois ou l’échec d’une entreprise de canonisation politique », Britannia Monastica, tome 10, p. 21–41, 2006.
Voir la toile sur Joconde
Une bataille décisive
Après sa victoire, Jean de Montfort se rend maître du duché. Il est reconnu par le traité de Guérande comme seul duc de Bretagne sous le nom de Jean IV. L’arrivée au pouvoir de la dynastie Montfort est le prélude à une période de reconstruction du pouvoir ducal.
Un combat de mémoires
En signe de réconciliation, Jean IV fonde l’ordre de l’Hermine et la chapelle Saint-Michel-des-Champs. Mais la guerre civile laisse des traces : deux camps restent constitués, pour lesquels la bataille est soit une victoire, soit une défaite.
La Chartreuse d’Auray
La chapelle Saint-Michel fondée par Jean IV est convertie en 1480 en Chartreuse, était située à l’emplacement de l’ancien champ de bataille, sur la commune de Brec’h, au nord d’Auray.
Photo - Carvou JF