La nouvelle est certes attendue depuis des années. Mais elle a été maintes fois anticipée et ces espoirs si violement douchés font qu’au final on n’ose presque plus y croire. C’est donc bien sur la note d’une indescriptible joie, mais aussi d’un profond sentiment de soulagement mêlé d’une certaine surprise que débute ce long processus d’entrée en paix. Comme si, d’une certaine manière, les sociétés en guerre étaient tellement habituées au conflit qu’elles peinaient à se réhabituer au silence des armes.
La signature de l’Armistice dans la clairière de Rethondes. Estampe par Pillard. Musée canadien de la guerre : MCG 19830483-001.
Une nouvelle tant attendue
Dans une perspective d’histoire sensible, auditive, l’entrée en paix commence donc par un grand silence. La Grande Guerre est en effet une expérience acoustique des plus violentes pour les poilus. Pour l’essentiel paysans, ils ne sont pas habitués à l’intensité sonore des rafales de mitrailleuses ou des pièces d’artillerie.
L’Armistice est espéré depuis plusieurs années. Les réactions observées s’apparentent plus à un soulagement qu’à une réelle surprise. Mais en même temps, l’arrêt des combats traîne tellement que plus personne ne semble y croire, au point que la nouvelle finit par prendre de cours.
Le quotidien des populations n’est pas immédiatement modifié. Dans le pays de Montfort comme dans tous les départements, l’inflation et les restrictions en tous genres ne prennent fin qu’en août 1920.
Carte postale. Musée de Bretagne: 971.0008.204.2.
Le bulletin de la paroisse de Breteil raconte le grand jour :
« Dimanche, après la grand’messe, le Te Deum a retenti pour remercier Dieu de la Victoire. Cette Victoire, nous l’avons longtemps attendue : nous l’avons toujours espérée, surtout parce que nous avions mis notre confiance en Dieu, et nous savons que les magnifiques chefs de nos armées, en particulier le maréchal Foch lui-même, priaient en combattant, sachant bien comme le disait Jeanne d’Arc, si les gens d’armes doivent batailler généreusement, c’est Dieu qui donne la Victoire. »
Ces quelques lignes montrent qu’au final on s’attache moins à décrire ce qu’a pu être cette journée du 11 novembre 1918 qu’à tenter d’expliquer les raisons de ce succès, pour mieux s’en attribuer les lauriers. C’est d’ailleurs à cette reprise de l’ancien clivage sur les rôles respectifs de l’Eglise et de l’Etat que se mesure l’entrée en paix, moment du retour à une certaine « normalité ».
Pour savoir donc comment est vécu le 11 novembre 1918 dans le Pays de Montfort, on s’en remettra au carnet du docteur Leroy, maire de Bédée, qui, laconique, écrit ce jour : « Armistice. Pavoisement. Carillon des cloches ».
Au Front
Au front, la nouvelle de l’Armistice est accueillie de diverses façons. Non pas qu’elle ne satisfasse pas les poilus : au contraire, c’est bien une joie unanime, explosive, spontanée qui se dégage. Mais certains, résignés, n’osent même plus employer le mot de « Victoire ».
Marianne embrassant le poilu victorieux. Cliché publié dans L’Illustration. Collection M. Pagès.
Le 11 novembre 1918, le 41e régiment d’infanterie de Rennes, où se trouvent affectés de nombreux mobilisés du pays de Montfort, est dans le secteur de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle. Le journal des opérations quotidiennes de l’unité donne une description très neutre de cette journée pourtant historique :
« A 6 heures, le quartier général du 6e corps d’armée cantonné à Saint-Clément communique la dépêche radiotélégraphique de la signature de l’armistice et de la cessation des hostilités à 11 heures. A 15 heures, devant le général Duport commandant le 6e corps d’armée et une grande affluence, la musique du 41e RI joue les hymnes alliés et donne un concert. »
Le lendemain, comme si de rien n’était, l’unité quitte ses cantonnements pour venir réoccuper ses anciens emplacements.
Les abords de l'église de Baccarat, 30 août 1918. La Contemporaine: VAL 151/032.
Cela rappelle le malaise des troupes, épuisées par des mois de guerre. Alors, dans les verres qui s’entrechoquent pour célébrer la victoire, il y a bien évidemment le bonheur de la fin des combats mais aussi l’incrédulité face à une nouvelle si longtemps espérée et enfin parvenue, le soulagement d’en avoir réchappé, les immenses fatigues des dernières batailles et le chagrin d’avoir perdu de nombreux camarades au « champ d’honneur ».