Tout d’abord, croire qu’une souveraine, aussi puissante soit-elle, puisse ordonner au XVIe siècle la culture d’une plante est très largement se méprendre sur la réalité de l’État en ce début d’époque moderne. D’ailleurs, le sarrasin est présent depuis beaucoup plus longtemps en Bretagne. Les archéobotanistes ont en effet retrouvé des semences remontant au Xe siècle et même des pollens datant de l’âge de bronze.
Histoire d’une culture
Pour autant, il y a une très large différence entre la présence d’une plante à l’état naturel sur un espace donné et la culture de ce même végétal. Dans la péninsule armoricaine, celle-ci s’impose aux alentours des XVe/XVIe siècles. En Europe, les traces les plus anciennes retrouvées dans les archives datent de la fin du XIVe siècle, dans les actuelles Pologne et Lettonie mais aussi en République tchèque. En Bretagne, il en est fait mention pour la première fois en 1497, à Rennes, puis sa culture est attestée en 1502 à Saint-Brice-en-Coglès, petit village situé entre Antrain et Fougères. On le rencontre ensuite en 1508 à Langouët, entre Rennes et Dinan, puis deux ans plus tard dans les environs de Quimper.
Champ de Sarrasin. photographie des frères Charles et Paul Géniaux. Musée de Bretagne: 2013.0008.81.
Une Bretagne sarrasine ?
Par ailleurs, et pour tordre définitivement le cou à la légende, il importe de rappeler qu’en France la culture du sarrasin n’est nullement propre à la Bretagne. On en trouve ainsi trace dans de nombreuses autres régions parmi lesquelles la Lozère, l’Auvergne, le Limousin, la Savoie, la Champagne, la Sologne, le Morvan, la Mayenne ou encore la Normandie ! En revanche, la péninsule armoricaine témoigne d’un réel attachement à cette plante, à tel point que la structure du foncier est en partie organisée autour du sarrasin. De l’autre côté du Couesnon, par exemple, ne sont considérées comme « bonnes terres » que les parcelles offrant un fort rendement en froment. Ce sont celles-ci, les plus recherchées, qui sont les plus chères. Mais en Bretagne, cette appréciation est plus souple et englobe des cultures aussi variées que le blé tendre mais également le seigle, l’avoine ou encore le sarrasin. Ceci dit bien l’importance de cette plante dans la vie des Bretons.
Carte postale. Le Carton voyageur: AA00008751.
Un rempart face aux disettes ?
Le sarrasin est une culture qui s’implante d’autant plus facilement en Bretagne qu’elle est peu gourmande, qu’elle demande peu d’entretien, qu’elle est plutôt généreuse en termes de rendement à la semence – même si les archives ne permettent pas toujours de le quantifier avec précision – et qu’elle est, enfin, souple d’emploi. La plante se conserve de plus relativement bien puisqu’elle n’est atteinte par aucune des maladies affectant les céréales, et notamment le célèbre ergot du seigle.
Carte postale. Le Carton voyageur: AA00009096.