13 novembre 1909, ferme de Bruté. Trois jeunes détenus agressent le pupille Gauthier sous prétexte qu’il aurait fait échouer une tentative de mutinerie au cours de l’été précédent. Plusieurs coups de couteau sont portés. Très rapidement, les agresseurs prennent la fuite. Après avoir volé une boule de son et des vêtements pour passer inaperçus – le costume blanc de pupille est connu des autochtones –, les trois garçons trouvent refuge dans la cave d’une ferme belliloise. Durant une petite semaine, ils se nourrissent de betteraves qu’ils vont prendre la nuit dans les champs voisins. Ils sont finalement tour à tour arrêtés, l’un d’entre eux ayant les pieds gelés. Deux mois plus tard, à la barre du tribunal correctionnel de Lorient, les colons dénoncent les mauvais traitements dont ils font l’objet : « On nous frappe à coups de nerfs de bœufs ! » Ils accusent surtout leur victime, le pupille Gauthier, « véritable colosse », un « brutal » surnommé « Le Lutteur », de menacer continuellement ses camarades, de les frapper, de se prendre pour un gardien et d’être un agresseur sexuel. L’épisode traduit à la fois la complexité des rapports entretenus entre les jeunes détenus et l’omniprésence de la violence dans leur quotidien. Les prévenus écopent respectivement en première instance de 18, 15 et 1 mois de prison puis, en appel, de 4 années de détention. Leur escapade à l’arme blanche les condamne en outre à un service militaire dans les bagnes de l’armée en Afrique du Nord.
Au-delà d’escapades plus ou moins réussies, les évasions de pupilles bellilois doivent être envisagées comme un discours. S’évader, c’est s’offrir une tribune permettant de dénoncer les mauvais traitements. La Statistique pénitentiaire indique qu’entre 1880 et 1911, ils sont 401 colons bellilois à tenter de s’enfuir. Parmi eux, seuls 84 parviennent à tromper la vigilance des gardiens, dont très peu réussissent à rejoindre le continent.
Lorsque l’on compare ces données à celles recueillies dans les autres colonies pénitentiaires, on prend la mesure du statut particulier de l’établissement morbihannais : il est celui dont il est quasiment impossible de s’échapper.