Le MRP : une force politique dominante à la Libération
Né dans la Résistance, le MRP s’affirme comme le premier parti politique en Bretagne lors des consultations électorales de 1945 et 1946. Représenté par des hommes nouveaux comme Georges Bidault et Maurice Schumann issus de la Résistance, le MRP capte un électorat catholique et modéré, rural mais aussi féminin – les femmes viennent d’obtenir le droit de vote –, une partie de celui de la droite dont les partis se sont discrédités avec Vichy, ainsi qu’une aile sociale appuyée par le syndicalisme ouvrier de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Plusieurs cadres du MRP ont milité avant-guerre au Parti démocrate populaire (PDP), petit parti démocrate-chrétien qui avait plusieurs députés en Bretagne.
Le MRP peut en outre compter, jusqu’aux années 1960, sur le relais de Ouest-France, le premier quotidien régional français, qui soutient clairement les candidats du parti aux diverses élections. Des fondateurs et leaders nationaux du MRP, élus députés en Bretagne en 1945, vont faire des carrières ministérielles sous la IVe République : Pierre-Henri Teitgen, ministre du gouvernement provisoire du général de Gaulle, en Ille-et-Vilaine, et André Colin, parlementaire du Finistère et président du conseil général de 1964 à 1978.
À la Libération, le MRP est hégémonique au centre droit en Bretagne, passant de 36,4 % des voix en octobre 1945 à 41,8 % en juin 1946 (28,2 % en France) et 39,8 % en novembre 1946, ce qui, à la proportionnelle, lui donne seize, vingt puis dix-huit députés sur 39 sièges. Cette percée inattendue permet l’élection de trois femmes en Bretagne (9 MRP sur 33 élues en France en 1945) dont Marie-Madeleine Dienesch dans les Côtes-du-Nord.
En 1945, le MRP est aussi une force conséquente dans les conseils généraux (49 élus, 22,5 % des voix), sauf en Loire-Atlantique, et il est bien implanté au niveau municipal où il attire des nouveaux maires du centre et de la droite. Des fédérations MRP sont alors très actives en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère (4e et 6e de France). Le poids de ce parti est conforté par sa participation à la plupart des gouvernements de la IVe République : tripartisme (1946-1947), Troisième Force (1947-1951), droite (1951-1954) puis 1957-1958.
La concurrence à droite du RPF gaulliste et des indépendants
Le positionnement du MRP au centre droit est confirmé avec le surgissement à droite du Rassemblement du peuple français (RPF) gaulliste en 1947, puis le retour au pouvoir des indépendants de droite (1952) et leur poussée aux municipales de 1953. À la veille des élections municipales de 1947, le MRP compte 40 % des maires du Finistère, 19,1 % du Morbihan, 16,4 % des Côtes-du-Nord, et bon nombre en Ille-et-Vilaine, mais beaucoup moins en Loire-Atlantique, département dominé par les indépendants de droite. Mais comme le parti démocrate-chrétien interdit la double appartenance, de nombreux maires et conseillers sortants, de droite en réalité, adhèrent au RPF gaulliste lors des municipales d’octobre 1947 affaiblissant le MRP qui conserve néanmoins un tiers des maires du Finistère, le même nombre dans le Morbihan, mais recule dans les Côtes-du-Nord.
Lors des élections cantonales de 1949 et 1951, la poussée gaulliste fait perdre au MRP la moitié de ses conseillers généraux ainsi que les présidences du Finistère et de l’Ille-et-Vilaine, mais il résiste mieux aux élections législatives de 1951, car il conserve onze députés (un quart des voix, deux fois plus que sa moyenne nationale), et regagne même du terrain en 1956 (treize élus). Les démocrates-chrétiens participent avec les droites aux grandes mobilisations en faveur de l’école privée confessionnelle et soutiennent les guerres coloniales. Si bien qu’avec l’effondrement du RPF gaulliste, lors des élections municipales de 1953 favorables aux indépendants de droite, le MRP connaît un certain succès en Bretagne en prenant les mairies de Rennes, Brest, Quimper, Douarnenez, Saint-Brieuc. Mais cette droitisation d’un parti qui se voulait au centre gauche à la Libération est mal vécue par des militants qui créent des petits groupes qui vont évoluer vers la gauche mendésiste puis socialiste dans les Côtes-du-Nord et le Finistère.
Du ralliement au général de Gaulle au passage dans une semi-opposition
Lors de la crise du 13 mai 1958, c’est Pierre Pflimlin (MRP) qui dirige le gouvernement mais son parti se rallie rapidement au général de Gaulle et appelle à voter oui au référendum sur la nouvelle Constitution. Pourtant, parce qu’ils ont été associés au pouvoir sous la IVe République, la plupart des dirigeants du MRP sont battus par des gaullistes lors des élections législatives de 1958. C’est le cas des anciens ministres André Colin et André Monteil dans le Finistère et de Pierre-Henri Teitgen à Fougères. Pourtant, en Bretagne les centristes résistent bien (un tiers des voix au 1er tour) en conservant douze députés sur 33. En Loire-Atlantique, c’est un jeune syndicaliste paysan, Bernard Lambert, apparenté MRP, qui bat l’ancien ministre radical nantais André Morice, prenant le relais du député Édouard Moisan élu sous la IVe République, tandis que pour le MRP l’ouvrier syndicaliste (CFTC) Nestor Rombeaut s’impose dans une quadrangulaire à Saint-Nazaire, un fief socialiste. Le parti soutient la politique algérienne du général de Gaulle mais vote en 1962 la censure du gouvernement Pompidou sur l’élection présidentielle au suffrage universel. Les centristes sont alors sanctionnés en novembre ne conservant que dix députés dans la région, dont sept MRP.
Contestant la politique étrangère du général de Gaulle (pas assez européenne et pas assez atlantiste à ses yeux), le MRP qui a quitté le gouvernement en 1962 est tenté de se rapprocher de l’opposition socialiste en 1964. Mais en décembre 1965, il présente son nouveau leader Jean Lecanuet à l’élection présidentielle, contribuant à mettre le général de Gaulle en ballotage. Lecanuet obtient près de 20 % des suffrages au 1er tour en Bretagne (4 % de plus que sa moyenne nationale) et créé le Centre démocrate (CD) qui, en mars 1967, du fait de la poussée de la gauche (cinq élus) et de deux ralliements aux gaullistes, n’a plus que quatre députés sur les huit du nouveau groupe Progrès et démocratie moderne qui rassemble des radicaux, des plévenistes, et des indépendants opposés à De Gaulle. Lors de la crise de Mai 1968, sept des huit centristes bretons votent la censure du gouvernement Pompidou, si bien que la plupart d’entre eux sont battus par des UDR en juin .
Lors de la présidentielle de 1969, les centristes démocrates-chrétiens se divisent : quelques-uns rejoignent au second tour le candidat de l’UDR Georges Pompidou contre le candidat centriste issu du MRP Alain Poher. Dans cette mouvance, citons le jeune Pierre Méhaignerie, député de Vitré en 1973, à la suite de son père Alexis, élu de 1945 à 1968.
Les démocrates-chrétiens restés dans l’opposition soutiennent Valéry Giscard d’Estaing (républicain indépendant) contre Jacques Chaban-Delmas (UDR) lors de la présidentielle de 1974. Jean Lecanuet, puis Pierre Méhaignerie entrent au gouvernement. En 1976, tous les centristes de droite se retrouvent dans le même parti, fondé lors d’un congrès à Rennes, le Centre des démocrates sociaux (CDS). En 1978, le CDS est l’une des composantes de l’Union pour la Démocratie Française (UDF) giscardienne, une confédération de partis de la majorité qui doit faire contrepoids au RPR dirigé par Jacques Chirac. Aux élections législatives de 1978, le CDS a quatre des dix députés UDF élus en Bretagne mais il n’en conserve que deux en 1981. En intégrant l’UDF giscardienne, l’identité démocrate-chrétienne, qui a marqué l’histoire politique de la Bretagne, s’est fondue dans la droite classique, perdant son originalité propre à mesure que ses grands notables qui avaient émergé à la Libération quittaient la scène politique et que la crise de l’église catholique (effondrement de la pratique religieuse) touchait la Bretagne. Dans le cadre des bouleversements des Années 1968, une partie de son électorat, jeune, salarié, urbain s’est alors tournée vers le socialisme et le nouveau PS.