Anne était la fille aînée du dernier duc de Bretagne, un pays prospère et quasi-indépendant, aussi peuplé que des royaumes comme le Portugal et l’Écosse. Duchesse de 1488 à 1491, en trois ans de règne, elle eut à faire face à deux invasions de la part du roi de France. À onze ans, cette fillette a réussi à refuser le grand seigneur qu’on voulait lui imposer comme époux, montrant déjà une volonté et une fermeté exceptionnelles. Le duché étant envahi et vaincu, en 1491, Anne étant elle-même assiégée, elle a consenti le sacrifice personnel d’épouser son ennemi, le roi Charles VIII, pour résoudre le conflit et assurer la paix à son pays et à l’ouest du royaume. Pendant près de sept ans, elle a été reine de France, alors le plus grand et le plus puissant royaume de la chrétienté. Très vite, elle a satisfait à tous les rôles attendus d’une reine : donner au royaume un fils (qui allait mourir à trois ans), ainsi qu’un modèle de vertus et de piété.
Une femme d'État
Veuve du fait du décès soudain de Charles VIII en avril 1498, elle a immédiatement affirmé sa souveraineté sur le duché de Bretagne et a réussi à la faire reconnaître, tant par les seigneurs bretons que par le nouveau roi, Louis XII. Puis elle a accepté d’épouser celui-ci : les deux souverains ont conjoint la raison d’État et leurs sentiments personnels (ils s’aimaient, les ambassadeurs italiens le répètent). La reine veuve a imposé toutes ses conditions politiques. La principale était un contrat de mariage stipulant la perpétuation de l’autonomie du duché de Bretagne (par la dévolution de celui-ci à un enfant cadet, donc distinct du roi futur). La reine-duchesse s’est ainsi comportée en femme d’État.
De façon conjointe avec Louis XII, elle a supervisé l’administration de son duché (elle l’a longuement visité en 1505). Son projet politique de perpétuation de l’autonomie bretonne n’a pas abouti parce que, quoiqu’elle enfantât dix fois, ses deux seuls enfants à devenir adultes furent deux filles. Elle n’a d’ailleurs pas pu empêcher que l’aînée, Claude de France, fût mariée à l’héritier du trône, le futur François Ier, ce qui allait permettre, plus tard, de réunir le duché au domaine royal.
Un rayonnement culturel et politique
Du temps de son second règne, la reine a exercé beaucoup d’influence dans les domaines culturel et politique par un rayonnement personnel, une correspondance abondante ainsi que des voyages incessants. Ses revenus considérables (incluant notamment le douaire du premier mariage) et ses propres inclinations lui ont fait mener un actif mécénat. Le magnifique tombeau de marbre qu’elle a fait édifier pour ses parents, à Nantes, sculpté par Michel Colombe, témoigne de sa piété filiale. Elle a protégé poètes (Jean Marot), peintres (Jean Bourdichon) et musiciens (Jean Mouton et Antoine de Févin, dont on peut aujourd’hui écouter les œuvres de polyphonie, certaines sublimes). Des chansons d’amour de Claudin de Sermisy, qui faisait partie de sa chapelle, font penser qu’elle aimait des œuvres parfois très lestes. Ça ne l’empêchait ni de rester pieuse, ni d’encourager les premières tentatives de réforme du clergé régulier. Elle s’est attachée aussi à la promotion des femmes, ainsi en demandant à son confesseur d’écrire une Vie des femmes illustres.
Pendant ses trois règnes, Anne a entretenu une correspondance internationale, écrivant notamment aux papes successifs, aux rois d’Espagne, qui étaient des parents, et à d’autres souverains. Elle a envoyé une épouse au roi de Hongrie (1502). Les projets de mariage de ses propres filles l’ont fait entrer dans des négociations diplomatiques. En 1504, elle a soutenu l’archiduc d’Autriche, souverain des Pays-Bas, pour négocier le futur mariage de sa fille aînée au fils de ce dernier (le futur Charles Quint). Le traité de 1504 prévoyait que sa fille aurait la Bretagne, Milan et la Bourgogne, ce qui était évidemment diminuer et affaiblir le territoire du royaume. Louis XII l’a d’ailleurs compris tout de suite et, dès l’année suivante, décida de marier sa fille à l’héritier du trône, François.
De dépit, la reine a fait tomber en disgrâce le ministre qui avait défendu ce projet de mariage français, le maréchal de Rohan-Gié. C’est d’abord en raison de cette vengeance que les historiens la taxent d’avoir été rancunière. Ce traité de 1504 est difficile à comprendre du point de vue des intérêts français, et les historiens, surtout ceux d’avant 1914, qui redoutaient une invasion, ont reproché à Anne d’être une mauvaise française. En fait, la France passait par un apogée de puissance en Europe. Le roi et la reine ont juste projeté d’assurer une paix durable avec la maison d’Autriche en résolvant le conflit à propos de la Bourgogne. On peut penser que ce projet était utopique, mais les faiseurs de paix, eux aussi, doivent être reconnus. En 1513, quand le royaume a été menacé d’invasion, Anne a joué un rôle « décisif » dans la conclusion de la trêve avec le roi d’Espagne, première étape vers la paix conclue quelques mois après sa mort.
Anne a été inhumée avec un faste exceptionnel. La large diffusion du récit de ses obsèques témoigne que son décès a provoqué une grande émotion jusqu’à l’étranger, suscitée par son rayonnement personnel et par ses efforts pour construire la paix.