La conjugaison de l’ethnoécologie et de l’ethnolinguistique permet d’appréhender l’interprétation des connaissances locales sur le monde vivant, à travers l’étude de la langue et des classifications biologiques populaires. En Basse-Bretagne, certaines catégories locales de noms de végétaux renseignent sur le statut de bretonnité, aux yeux de l’ancienne population paysanne enquêtée. Dans le pays de Lannion, les locuteurs bretons parlent de plantes dites « françaises » et de plantes dites « bretonnes ». Trois noms de végétaux présentent le déterminant gallek ou gall qui signifie « français ». L’ajonc d’Europe (Ulex europaeus), variété autrefois cultivée pour fournir un fourrage aux chevaux, est nommé lann gallek « ajonc français », dénomination en concurrence avec lann brezhonek, l’« ajonc breton » (Ulex gallii), non cultivé, piquant, figure péjorative de la plante inexploitable. Le noyer, arbre planté et cultivé à proximité des maisons, est nommé kraoñ gallek, « noix française ». On l’oppose à kraoñ kelvez ou kraoñ garzh « noix de talus », le noisetier, espèce sauvage qui pousse à profusion. Espèce de graminée spontanée, le dactyle, geot gall, n’est mangé que par les chevaux, animaux nobles de la ferme, et fait l’objet de refus par les vaches.
Le déterminant gallek signale le statut noble de plantes cultivées, comparé à celui de plantes semblables, non cultivées, indigènes, rétrogradées par le qualificatif brezhonek. Non loin de Lannion, à Trédrez-Locquémo, une opposition comparable existe entre les terres riches à froment – douar gallek – et les terres pauvres à blé noir – douar brezhonek. Les manières de nommer et de classer l’environnement fourniraient ainsi un support symbolique au sentiment d’identité négative que le monde rural a pu produire sur lui-même en Basse-Bretagne.