Gilles Morin

Auteur : Léandre Mandard / octobre 2023

Gilles Morin (1951-1999) est la figure centrale du mouvement gallo entre la fin des années 1970 et la fin des années 1980. Issu d’un milieu modeste (son père fut cantonnier, sa mère femme de ménage), il grandit à Trégomar, dans le pays de Lamballe. Élève brillant et précoce, il fait ses études à Rennes et est reçu à l’agrégation d’histoire en 1975, à l’âge de 23 ans. Il est ensuite professeur dans l’enseignement secondaire.

Le jeune homme se rapproche rapidement des Amis du parler gallo, qui ne sont alors qu’une petite société savante des bords de Rance, et en devient le président dès 1978. L’année suivante, il participe à lancer les Assemblées gallèses et la revue Le Lian. Surtout, imprégné de l’ambiance alternative des années post-68, il donne au mouvement gallo renaissant une tonalité plus revendicative, une forte dimension sociale et des fondements théoriques nouveaux. La première évolution notable qu’il favorise est le rejet du terme de « patois » au profit du qualificatif plus valorisant de « langue ». Il participe aussi à ancrer le mouvement dans le combat politique et culturel breton : en 1984, l’association prend le nom de Bertaèyn Galeizz. Il n’en formule pas moins une critique sévère de l’Emsav, accusé de marginaliser le gallo. D’après Morin, ce dernier pâtirait d’une « double satellisation », faisant référence à un concept du sociolinguiste Jean-Baptiste Marcellesi, pour qui la satellisation est le « phénomène par lequel l’idéologie dominante tend à rattacher un système linguistique à un autre auquel on le compare et dont on affirme qu’il est une déformation ou une forme subordonnée ». Le gallo se retrouverait ainsi pris en étau entre le centralisme linguistique français et une doctrine qui chercherait à le reproduire à l’échelle bretonne.

Au côté de Christian Leray, avec qui il partage un intérêt pour la pédagogie Freinet, il engage des négociations avec l’Éducation nationale pour permettre l’enseignement du gallo à l’école, au début des années 1980. Les deux professeurs parviennent à convaincre le recteur de l’académie de Rennes de l’intérêt de cette mesure, en tant qu’instrument de lutte contre l’échec scolaire en milieu rural : à cette époque, la confusion entre le gallo et le français a en effet des effets désastreux sur les capacités d’expression de certains élèves et sur leur confiance en eux. Dès la seconde moitié des années 1980, l’option gallo concerne environ 3 000 élèves par an. Ce travail de légitimation et d’enseignement se poursuit dans le domaine universitaire, avec l’aventure éphémère du LERG (laboratoire d’études et de recherches gallèses), centre de recherche rattaché à l’université Rennes 2, placé sous le patronage de la linguiste Henriette Walter et animé par Gilles Morin.

Loin de se cantonner à la langue, son action s’est aussi attachée à dresser des ponts entre différents aspects de la culture du pays gallo, que la langue permet de relier : danse, musique, chant, artisanat, patrimoine naturel… Nombre de ses activités se sont fixées dans les environs de Concoret, dans le Morbihan, commune de la conteuse Ernestine Lorand où Gilles Morin achète une maison en 1987. Il contribue fortement à la cristallisation, dans le pays de Brocéliande, d’une forme de contre-culture gallèse où se rencontrent une sensibilité pour la culture rurale traditionnelle et des pratiques alternatives. 

Par son activisme débordant et son charisme indéniable, ce militant peu commun a marqué durablement le mouvement gallo, dont il s’éloigne néanmoins dans les années 1990. Ceux qui l’ont connu retiennent aussi son caractère fort et ses exubérances. Il décède prématurément en 1999, à l’âge de 47 ans. Ce militant laisse derrière lui un héritage fondateur, dont les archives qu’il a laissées donnent la mesure. Conservé par sa famille pendant plus de vingt ans, ce fonds d’une richesse exceptionnelle a été confié à l'Académie du Gallo en 2023, afin d'en dresser l'inventaire et de pouvoir le rendre accessible au public.

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Auteur : Léandre Mandard, « Gilles Morin », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 26/10/2023.

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité