La Bretagne en 1914

Auteur : Patrick Gourlay / novembre 2016
Durant la décennie qui précède la Grande Guerre, la Bretagne se modernise tandis que la scolarisation et l’apprentissage de la démocratie font évoluer les mentalités. Désormais, le vote républicain est devenu majoritaire.

Une Bretagne très peuplée

Avec 3,2 millions d’habitants en 1911, la Bretagne vit son apogée démographique. Contrairement aux autres provinces, la population a augmenté tout au long du 19e siècle. La natalité reste élevée : une famille bretonne sur trois a encore plus de quatre enfants. Dans ces campagnes surpeuplées, la part des jeunes est considérable : 41 % des Bretons a moins de vingt ans. Les fermes, souvent trop petites pour permettre à tous d’y vivre, alimentent l’exode rural vers les villes du sud Bretagne mais aussi vers la région parisienne, les ports comme le Havre, les colonies, et parfois l’Amérique.

Une société rurale et catholique

La vie dans ce paysage de bocage est rythmée par les travaux des champs. La polyculture a encore pour finalité de nourrir la famille paysanne. Seul le surplus est vendu (marchés, foires urbaines). Cependant des changements apparaissent : augmentation des terres cultivées aux dépens des landes, utilisation d’engrais, culture de la pomme de terre et du froment, essor de l’élevage porcin. En 1913, la petite propriété domine : deux exploitations sur trois sont inférieures à 10 hectares.

La Bretagne des châteaux et des presbytères reste influente. Les aristocrates règnent sur leurs terres, entre réceptions mondaines et chasse. Certains participent à la modernisation des campagnes en y favorisant le développement de techniques nouvelles, comme James de Kerjégu avec l’Ecole d’agriculture du Finistère. L’encadrement est assuré par un clergé abondant dans une Bretagne dont Sainte Anne est devenue la patronne en juillet 1914. Cette église qui maintient son autorité sur la communauté villageoise, marque sa forte présence dans le domaine scolaire, rythme l’année de pardons et de fêtes religieuses, et encourage le culte de saints locaux.

Identité bretonne

En 1914, sur 1,5 million de Bas-Bretons, la moitié ne parle que le Breton et les ¾ l’utilisent de manière usuelle dans leur vie quotidienne. L’école de la IIIème République interdit sa présence dans la classe et sur la cour. Les autorités restent ainsi dans une logique de lutte contre l’usage de la langue bretonne. L’attaque la plus forte fut menée par Emile Combes (1902) lorsqu’il voulut interdire au clergé l’usage du breton pour prêcher et enseigner le catéchisme. En réaction, le mouvement régionaliste breton s’organise. Et sa revendication première est la reconnaissance officielle de la langue et son enseignement. C’est ce que demandent l’Union Régionaliste Bretonne (1898) et son millier d’adhérents, surtout des notables issus de la noblesse et du clergé.

Les ressources de l’Armor

Les Bretons représentent la moitié des effectifs de la marine de guerre. La Royale attire notamment les marins-pêcheurs touchés par la crise de la sardine et la délocalisation de conserveries en Espagne, au Portugal et en Algérie. Cependant, la pêche reste un pilier de l’économie régionale. Là encore, la moitié des pêcheurs français sont bretons. De Camaret au Croisic, c’est la pêche à la sardine qui domine. A Douarnenez, il y a 700 bateaux et 4000 marins qui alimentent les 26 usines. Il y a aussi Concarneau, Audierne et Le Guilvinec qui abritent d’importantes conserveries. La pêche au thon est pratiquée par des marins de Groix, d’Etel et de Port-Louis tandis que Saint-Malo concentre les navires armés pour la grande pêche à la morue à Terre-Neuve. Camaret se spécialise dans la pêche à la langouste au large de la Mauritanie.

Industrie sardinière Bateaux à quai dans un port sans doute du sud Finistère. Début du XXe siècle, la pêche à la sardine permet d’alimenter les nombreuses conserveries du Finistère sud. www.cartolis.org

Un Breton sur quatre vit en ville

Les grandes cités sont peu nombreuses. En 1914, 25 % des Bretons sont urbains contre 44 % au niveau national. Nantes est alors la grande ville bretonne avec une agglomération de 200 000 habitants. Le grand Brest arrive ensuite avec 117 517 habitants. La population de Rennes s’accroît pour atteindre 79 372 habitants quand Lorient en rassemble 50 000. La spécificité bretonne est le riche maillage de petites villes, et de gros bourgs, vivant en lien avec la campagne environnante (artisans, commerces, lieux de foire, de marchés). En fait, les petites cités de l’intérieur stagnent tandis que les villes du littoral voient leur population augmenter.

Grèves à Fougères Grèves à Fougères hiver 1906-1907. Solidarité lors des grèves à Fougères, hiver 1906-1907 : « La soupe communiste ». www.cartolis.org

La Bretagne de 1914 est peu industrialisée

La moitié de l’industrie bretonne se trouve en Basse-Loire : industrie alimentaire (biscuiterie Lu, BN, raffinage du sucre, tapioca, chocolateries, rizerie), industrie chimique (engrais), métallurgie (forges de Trignac) et construction navale (Nantes et Saint-Nazaire). En ces années d’avant guerre, les employés des arsenaux sont de plus en plus nombreux à Indret, Lorient, Rennes mais surtout à Brest (8000 en 1913). A côté des poudreries de Pont-de-Buis et du Relecq-Kerhuon, l’État dirige les manufactures des tabacs de Nantes et de Morlaix. L’industrie bretonne est liée à l’agriculture et à la pêche : beurreries, minoteries, conserveries de poisson et de charcuterie (pâté Hénaff). Les forges d’Hennebont produisent le fer blanc nécessaire aux conserveries. L’industrie de la chaussure à Fougères emploie 10000 personnes en 1900.

Usine LU à Nantes, avant 1930. www.cartolis.org

Le train facilite l’essor du tourisme balnéaire

En 1914, les chefs-lieux de canton sont en général reliés par le train. Même si l’ensemble du réseau n’est pas achevé, il y a à côté des deux principales lignes (Nord et Sud), des axes secondaires qui desservent les ports de pêche, les régions agricoles, et les stations balnéaires. Avec le chemin de fer, l’économie bretonne est mieux intégrée aux marchés nationaux, le déplacement des personnes est facilité et cela ouvre la péninsule à une nouvelle activité : le tourisme balnéaire. La mode des bains de mer et la découverte de la plage attirent des personnes souvent riches, françaises et britanniques, qui s’installent pour l’été à Dinard, au Croisic, à La Baule, ou à Morgat (Crozon) où Armand Peugeot fait construire l’hôtel de la Mer. Le littoral se couvre de villas et d’hôtels mais aussi d’aménagements modernes parfois dignes de grandes villes (service des eaux, éclairage électrique, tout-à-l’égout) et d’équipements de loisirs (casinos, golfs, hippodromes).

ND Clarté à Perros-Guirec. Procession du 15 août. Début du XXe siècle. La pratique religieuse est générale. Elle devient objet d’attraction dans les régions où le tourisme se développe.

En 1914, la Bretagne est républicaine

Malgré les tensions politiques très fortes liées à l’application de la séparation de l’Église et de l’État (1905), le courant favorable à l’acceptation du régime républicain ne fut pas remis en cause. L’implantation de la République est l’aboutissement d’un long combat contre les conservateurs. Mais c’est à une République modérée que la majorité des Bretons adhère dans les années 1900. Cela est favorisé par le ralliement de nombreux catholiques, influencés par Albert de Mun. La voix de ces catholiques républicains s’exprime désormais dans le nouveau quotidien rennais L’Ouest-Eclair (1899). A côté des agents de l’État qui diffusent l’idée républicaine, La dépêche de Brest, l’Avenir de Rennes, le Phare de la Loire à Nantes participent à la consolidation du régime qui, en 1914, n’est plus contesté que par une minorité de nobles souvent membres de l’Action française. En 1914, les républicains gagnent les grandes villes : Nantes, Brest, Rennes, Lorient, Saint-Malo, Vannes. Dans les cités ouvrières le mouvement syndical s’est développé, comme les idées socialistes. Brest est la première grande ville bretonne dirigée par ce parti (1904). Le premier député socialiste breton y est élu en 1910.

Dans le climat de fortes tensions internationales, les Bretons sont patriotes. Aux législatives de 1914, les députés bretons favorables à la loi des trois ans de service militaire obtiennent de 60 à 70 % des suffrages. En août 1914, l’entrée en guerre se fait dans la résignation. Mais aussi avec le sentiment qu’il faut aller combattre pour la « grande patrie » agressée par une Allemagne belliqueuse.

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Auteur : Patrick Gourlay, « La Bretagne en 1914 », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 18/11/2016.

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Bibliographie

  • GESLIN Claude, « Une « petite patrie » dans la grande (1900-1914) », dans Histoire d’un siècle. Bretagne 1901-2000, Morlaix, Skol Vreizh, 2010, pp. 17-63
  • Dictionnaire d’histoire de Bretagne, sous la direction d’Alain Croix, Jean-Christophe Cassard, Jean-René le Quéau, Jean-Yves Veillard, Morlaix, Skol Vreizh, 2008
  • GESLIN Claude et SAINCLIVIER Jacqueline, La Bretagne dans l’ombre de la IIIe République (1880-1939), Rennes, Éditions Ouest-France, coll. université, 2005
  • Dictionnaire du patrimoine Breton, sous la direction d’Alain Croix et Jean-Yves Veillard, Rennes, Apogée, 2001
  • BOUGEARD Christian, La Bretagne d’une guerre à l’autre (1914-1945), Paris, Éditions Jean-Paul Gisserot, 1999

Proposé par : Bretagne Culture Diversité