La frontière orientale de la Bretagne

Auteur : Philippe Lanoë / décembre 2016
Une frontière n’est pas seulement le lieu d’affrontements militaires ou politiques et diplomatiques. Elle est aussi un espace d’échanges et d’influences réciproques. Elle signale aussi une rupture entre groupes culturels, linguistiques ou religieux. Ces limites, terme sans doute plus approprié, sont toujours imprécises et fluctuantes. Ce n’est qu’avec la montée en puissance de la notion d’Etat qu’une frontière politique nettement contrôlée apparaît.

Naissance de la Bretagne

A la fin de l’Empire romain, des Bretons sont présents dans tout le Nord-Ouest, mais leurs migrations les portent principalement vers les cités osisme et coriosolite.
La Bretagne (Britannia) apparaît comme entité distincte pour la première fois dans l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours (vers 572).

Les temps mérovingiens (VIe – VIIIe siècle)

Le pays de Vannes tombe entre les mains des Bretons à la fin du VIe siècle. Grégoire de Tours nous dit que les armées des Francs « s’établissent près de la Vilaine contre Waroc » (roi du Vannetais).

Selon la vie de saint Malo, à la fin du VIIe siècle, on entre en Bretagne en passant la Vilaine à Guipry. Le texte reflète la situation avant 851, la Vilaine semble bien avoir été une frontière « naturelle » entre Bretons et Francs pendant plusieurs siècles. Si la Vilaine marque une rupture -aucun atelier monétaire mérovingien n’a été signalé à l’ouest du fleuve, celui de Vannes a fermé peu après 575- il serait vain d’opposer les populations gallo-romaines et bretonnes proches par biens des aspects et qui cohabitent de chaque côté du fleuve.

La Chronique du pseudo-Frédégaire (VIIIe siècle) fait état d’une frontière bretonne (britannorum limes). Une circonscription militaire, préfigurant la marche carolingienne, est mise en place par les mérovingiens afin notamment d’éviter une alliance entre Bretons et Aquitains.

Les temps carolingiens (VIIIe –Xe siècle)

Extension de la Bretagne au IXe Siècle - BCD

Vannes est reprise par les Francs en 753 et une marche frontière englobant les cités de Rennes, Vannes et Nantes est mise place.

En 831 Louis Le Pieux donne pour la première fois une unité à la Bretagne en mettant sous la direction de Nominoë un territoire à dominante bretonne, augmenté du pays de Guérande entre la Vilaine et le Brivet.

La victoire d’Erispoë, fils de Nominoë, sur Charles le Chauve à la bataille de Jengland-Beslé (Grand-Fougeray) en 851, fait passer les pays de Rennes, de Nantes et de Retz sous domination bretonne.
Quelques années plus tard, Salomon obtient de Charles le Chauve d’étendre son pouvoir jusqu’à Angers (863), puis au Cotentin et à l’Avranchin (867).

La Bretagne féodale (Xe- XIIIe siècle)

Le recul des frontières - BCD

De 919 à 936, la Bretagne, envahie par les Normands, disparaît en tant qu’entité politique. Alain Barbetorte restaure un pouvoir ducal et s’installe à Nantes. Le territoire qu’il dirige est restreint à celui de 851. Dans le cadre d’une alliance avec le duc poitevin Guillaume Tête d’Étoupe en 941-942, Alain obtient les pays de Mauges, Tiffauges et Herbauges au sud de la Loire.

Ses successeurs de la maison de Rennes exercent une autorité relative sur les autres comtes bretons. Ainsi, de 952 à1054, les comtes de Nantes tentent de garder leur indépendance entre l’influence des comtes de Rennes et d’Anjou. La faiblesse des Bretons favorise l’expansion de l’Anjou et de la Normandie sur les marges orientales (perte du Mont-Saint-Michel, de Craon et des Mauges).

Aux XIe et XIIe siècles, une frontière stabilisée est matérialisée par des repères (ex. : la pierre de Bretagne entre Ingrandes et Le Fresne-sur-Loire) et garantie par des traités instituant des marches (marches séparantes entre Bretagne et Poitou) clairement définies au statut fiscal avantageux.

Les ducs encouragent le développement de seigneuries frontalières fidèles centrées sur de puissantes forteresses (Fougères, Vitré, La Guerche, Châteaubriant, Ancenis, etc.). Les frontières du duché n’interdisent nullement ces seigneurs châtelains de nouer des alliances avec leurs voisins, de favoriser les défrichements et les échanges économiques.

La fusion entre populations bretonnes et romanes n’est pas encore faite. L’auteur de la Chronique de Nantes, dans l’entourage de l’évêque de Nantes vers 1050, traite les Bretons de « diabolici viri », hommes diaboliques. Autres exemples, une charte d’Alain Fergent (vers 1060-1119) distingue les témoins bretons des nantais.

Pierre Abélard qui se dit « originaire d'un bourg situé à l'entrée de la Bretagne »(Le Pallet) porte un regard sans complaisance sur les moines de Saint-Gildas de Rhuys dont il est l’abbé : « C'était une terre barbare, une langue inconnue de moi, chez les moines des habitudes de vie d'un emportement notoirement rebelle à tout frein et une population grossière et sauvage » (Histoire de mes malheurs, vers 1132).

L’Etat breton (XIVe – XVe siècle)

Les forteresses des 2 cotés de la frontière - BCD
La paix revenue après la guerre de Succession (1341-1364), les ducs prennent le pas sur les autres seigneurs et développent une administration d’état souverain. Une frontière militaire est mise en place face à la France alors en pleine guerre de Cent Ans. Une zone tampon appuie un réseau de forteresses en première ligne de Dol à Pornic. Parallèlement, la propagande forge une identité collective autour de la personne du duc fondée sur l’écriture d’une histoire aux origines distinctes de celles de la France.

La province (1532-1789)

Le traité d’union de la Bretagne et de la France en 1532 respecte les limites de l’ancien duché. De même, en 1790, les départements reprennent les limites de l’ancienne province mais la Bretagne disparait en tant qu’entité politique et administrative.

De la Révolution à 1956, il n’y a pas d’entité politique regroupant les départements issus de la Bretagne, sauf pendant la période de l’Etat français (1940-1944) avec la mise en place de régions provisoires dans l’attente de restaurer les provinces. La Bretagne est amputée du département de Loire-Inférieure. Ce découpage est ensuite repris par les « régions de programme » mises en place en 1956 et maintenu par la loi de décentralisation de 1982 qui les érigea en collectivités territoriales.

Château de Clisson avant la Révolution - Wikimedia
Le château de Pouancé au Moyen Âge - Wikimedia

 

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CITER CET ARTICLE

Auteur : Philippe Lanoë, « La frontière orientale de la Bretagne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 1/12/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/la-frontiere-orientale-de-la-bretagne

Bibliographie

  • DAIN (Frédéric) et BODIN (Virginie), Les marches de Bretagne, Nantes, 2012, 59 p. d’après l’exposition du même nom de 2009.
  • CATALA (Michel), LEPAGE (Dominique), MEURET (Jean-Claude) (sous la direction de), Frontière oubliées Frontières retrouvées. Marches et limites anciennes en France et en Europe, Enquêtes et Documents, Centre de recherches en histoire internationale et atlantique, Université de Nantes, n° 41, PUR, 2011, 428 p.
  • MEURET (Jean-Claude), Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne : des origines au Moyen Âge, Société d'archéologie et d'histoire de la Mayenne, 1993.
  • CINTRE (René), Les marches de Bretagne au Moyen Âge, Pornichet, éd. Jean-Marie Pierre, 1992
  • CINTRÉ (René), RONNÉ Hervé (photographies), Les marches de Bretagne, une frontière à découvrir, Editions Ouest-France, 2011, 179 p.
  • LEVILLAIN (Léon), « La marche de Bretagne, ses marquis et ses comtes», Annales de Bretagne, t.LVIII, 1951, pp.88-117.
  • TONNERRE (Noël-Yves), Naissance de la Bretagne, Presses de l'Université d'Angers, 1994.
  • CHENON (Emile), « Les marches séparantes d’Anjou, Bretagne, Poitou », Nouvelle revue d’histoire de droit français et étranger, 1892,16e année, p. 18-62, 165-211

 

Vidéos

 

La monnaie illustration de l’histoire de Bretagne

  • CARIOU André et SALAUN Gildas, « La monnaie, un reflet de l’histoire de Bretagne », ArMen, n° 151, p. 6-13
  • LEROY Benjamin, Les monnayages mérovingiens armoricains

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Activité économique

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