Le contexte du débat
Plusieurs grands sites du Massif armoricain participent, au XIXe siècle, au vaste débat sur « l’Antiquité de l’Homme » et à l’essor de la Préhistoire en France. Parallèlement, et parfois plus précocement, les dépôts quaternaires, cadre stratigraphique des gisements paléolithiques, attirèrent l’attention des géologues et géographes. Dès 1869 était publié, dans les Matériaux pour l’Histoire primitive et naturelle de l’Homme, la description du premier site « paléolithique » de l’Ouest armoricain : il s’agit de la grotte de Roc’h-Toul en Guiclan dans le Finistère. Il n’y a alors que quelques années que Jacques Boucher de Crèvecœur (dit de Perthes) a bâti la première théorie du « Temps de la Préhistoire » (1864). Puis très rapidement, après ces théories catastrophistes des premières chronologies, succède un temps transformiste. En 1861, Édouard Lartet, avec l’exploration de la grotte d’Aurignac, convainc les derniers sceptiques de l’existence de l’Homme quaternaire. C’est entre 1869 et 1872 que Gabriel de Mortillet – par ailleurs fondateur en 1864 de la première revue consacrée aux recherches préhistoriques en France Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’Homme – réalise une synthèse très complète des temps préhistoriques, et que « le Temps de la Préhistoire » devient évolutionniste (1883).
C’est donc dans ce processus de reconnaissance et de développement de la Préhistoire, en tant que science, que débutent les recherches sur le Paléolithique dans le Massif armoricain et que des sites encore étudiés à l’heure actuelle vont faire l’objet de premières investigations : vallée de l’Erve (Mayenne), Mont-Dol (Ille-et-Vilaine) ou Bois-du-Rocher (Côtes-d’Armor).
Un an après les découvertes du docteur Le Hir, un autre préhistorien amateur, E. Fornier, reconnut des pierres taillées parmi les objets apportés par M. Gervaise, lieutenant de vaisseau passionné de minéralogie. Celles-ci provenaient du secteur du Bois-du-Rocher près de Dinan. La première publication au sujet de ce gisement intervint sous la signature de Fornier et Micault, lors du Congrès scientifique de France tenu à Saint-Brieuc en 1872. L’outillage en grès lustré était rapporté aux premières « époques » dont Gabriel de Mortillet subdivisait déjà l’Âge de la Pierre, c’est-à-dire à l’époque de « Saint-Acheul » ou à celle du « Moustiers ». Il s’agit d’un vaste site de plein air que l’on peut rattacher au Moustérien à outils bifaciaux, groupe le plus répandu pour le Paléolithique moyen armoricain et qui a fait l’objet de nombreuses études depuis sa découverte. On peut également rattacher à ce groupe le site de Kervouster à Guengat (Finistère), découvert par Halna du Frétay en1888. À la fin de leur mémoire, Fornier et Micault faisaient allusion à une « intéressante découverte » intervenue dans le courant de l’été 1872.
L’année suivante apporta davantage de lumière sur ce nouveau gisement lorsque son inventeur, Simon Sirodot, en fit la matière d’une conférence devant la Société d’émulation des Côtes-du-Nord (17 mai 1873). Sirodot était professeur de zoologie et doyen de la faculté des Sciences de Rennes, connu à l’époque pour ses travaux sur une algue rouge d’eaux douces (batrachospermes). Simon Sirodot est le plus atypique des archéologues bretons du xixe siècle. Naturaliste de formation, il s’illustra dans la fouille du gisement préhistorique du Mont-Dol et fit montre d’une grande rigueur et d’un esprit novateur, qualités alors peu courantes chez les préhistoriens français. C’est ainsi qu’en 1875 et 1878 il fait deux communications sur le site du Mont-Dol, lesquelles paraîtront dans la première revue de préhistoire française. Deux notes sur un « Essai d’organogénie du système des dents mâchelières du Mammouth » seront lues lors des séances de l’Académie des sciences. Ses travaux n’échappèrent cependant pas à la polémique sur « l’Antiquité de l’Homme » opposée à « la chronologie biblique », thème récurrent au xixe siècle, et qui, malgré la naissance des sciences préhistoriques et la reconnaissance en 1860 de l’Homme quaternaire, restera encore longtemps vivace. Ainsi, l’abbé Hamard se distinguera particulièrement par la parution de deux pamphlets visant la chronologie établie au Mont-Dol. Il sera précédé par de Valroger en 1876. Cependant Simon Sirodot reçut un écho très favorable pour ses travaux dans la presse spécialisée de l’époque.
L’innovation archéologique de Sirodot
Sirodot fouilla au Mont-Dol du 12 juin au 30 septembre 1872 et dans le courant de l’année suivante. La fouille se traduisit par un décapage intensif et le creusement de quatre excavations profondes. Ceci devait lui permettre d’établir des profils stratigraphiques. Il s’agit donc ici d’une attitude exceptionnelle pour l’époque, où l’on se contentait généralement de récolter les plus beaux objets sans tenir compte du contexte dans lequel ils se trouvaient. L’autre innovation notable est de lever les plans, coupes et profils au niveau et à la chaîne, ce qui nous donne des documents d’une bonne précision. Outre des données stratigraphiques, les fouilles lui fournirent une quantité impressionnante d’ossements et de nombreux silex taillés, qu’il rattacha sans erreur au groupe « du Moustiers ». Il put déterminer les ossements grâce aux collections conservées au musée de Rennes et reconnut qu’ils appartenaient à « l’Époque du mammouth ».
Les fouilles successives et les découvertes
Une nouvelle excavation fut réalisée par Vayson de Pradenne au début des années 1920 sur le site du Mont-Dol, mais sans résultats notables. Si les fouilles effectuées par le doyen Sirodot furent exemplaires et même novatrices sur le plan de la recherche archéologique, les travaux désordonnés qui suivirent n’apportèrent pas grand-chose de nouveau, aboutissant surtout à détruire ce qui restait du gisement et à introduire un certain nombre de confusions. Si aujourd’hui nous pouvons poursuivre l’étude de ce prestigieux gisement, c’est grâce aux comptes-rendus minutieux de Sirodot, et aussi grâce aux collections conservées à l’Université de Rennes 1 et au musée de l’Homme.
L’étude de l’état de conservation des ossements a montré diverses traces d’origine anthropique. Ce sont, outre les stries de décarnisation laissées par le tranchant des outils en silex, des stigmates de désarticulation, des fragments d’os brûlés et des os brisés intentionnellement (notamment parmi les os canons des chevaux). L’outillage du Mont-Dol est, pour la quasi-totalité, en silex, ce qui montre que les conditions d’approvisionnement étaient favorables ; il s’agit exclusivement de galets marins ramassés sur le littoral de l’époque (il est vraisemblable que Jersey était rattaché au continent). Il est caractérisé par un débitage levallois, par des racloirs abondants de types variés et d’excellente facture et surtout par un grand nombre d’outils à bords retouchés convergents, notamment de belles pointes moustériennes. L’industrie du Mont-Dol se rattache au « Charentien » de faciès « La Ferrassie ».
Au sommet du remplissage de la Cotte-de-Saint-Brelade à Jersey, les dépôts du dernier glaciaire ont livré une industrie comparable à celle du Mont-Dol, avec toutefois un débitage levallois moins marqué. La faune associée est également peu différente, avec le mammouth, le rhinocéros laineux, le cerf élaphe, le chevreuil, le renne, le cerf mégacéros, l’aurochs, la hyène, le loup et toutefois l’absence de l’ours des cavernes.