Un héros ?
La Chronique de Nantes, au début du XIIIe siècle, donne à Alain Barbetorte la dimension héroïque d’un libérateur : « Si assembla en Angleterre un petit nombre de nefs, et après avoir pris congé du roi Aethelstan il repassa en Bretagne avec les Bretons qui lui étaient demeurés ». Elle le fait débarquer à Dol, libérer la Bretagne de l’occupation normande en passant par Saint-Brieuc pour enfin s’installer à Nantes dont il fait sa capitale. Qu’en fut-il exactement ?
Le contexte général
Au début du Xe siècle, l’empire carolingien connaît une crise qui voit émerger des principautés autonomes entre les mains de la grande aristocratie. Hugues le Grand, père d’Hugues Capet, s’impose en Neustrie (entre Seine et Loire). La résistance de ces principautés aux invasions normandes conforte leur légitimité.
En Angleterre, le royaume de Wessex, qui résiste aux Normands depuis le IXe siècle, entreprend une politique de conquête et d’unification de l’île sous les règnes d’Edouard l’Ancien (899-924) et d’Æthelstan (924-939).
En Bretagne
Contrairement aux autres, la principauté bretonne, très exposée aux attaques normandes, plie sous leurs coups. « Les Normands ravagèrent toute la Bretagne à l’extrémité de la Gaule, située sur le rivage de la mer. Ils bouleversèrent et dévastèrent tout, après avoir emmené, vendu et chassé tous les Bretons » nous dit Flodoard au Xe siècle.
Les élites politiques et religieuses quittent la Bretagne. Le comte de Poher, Mathuedoï, fuit auprès du roi du Wessex avec son fils Alain. Seul se maintient à Rennes le comte Bérenger. Avec l’aval du roi Raoul, incapable de les chasser de l’estuaire de la Loire, les Normands créent une principauté dans le Nantais d’où ils lancent leurs incursions dans tout le royaume et étendent leur mainmise sur la Bretagne.
Une première tentative avortée
En 930, le roi Raoul anéantit presque entièrement une armée de Normands de la Loire aventurée en Limousin. La situation semble favorable pour revenir en Bretagne. L’année suivante, à la saint Michel, Alain et Juhel Bérenger déclenchent la révolte mais, prise en étau entre les Normands de la Seine et ceux de la Loire, la tentative échoue. Alain est contraint de retourner en Angleterre, près d’Æthelstan, tandis que Juhel Bérenger se maintient notamment grâce aux liens familiaux qui l’unissent à son cousin Guillaume Longue-Epée.
La Bretagne va-t-elle disparaître ?
Guillaume Longue-Épée, à la tête des Normands de la Seine, reçoit en 933 les terres du Cotentin et de l’Avranchin, territoires bretons depuis 867, en échange d’un serment de fidélité au roi Raoul. La Bretagne risque de se disloquer ou de devenir un État britto-normand. En effet, les Normands de la Loire sont en passe d’installer un pouvoir stable. Ils commencent à se convertir au christianisme et nouent des alliances matrimoniales avec les Bretons.
Une longue préparation diplomatique
En 935, aucun des grands du royaume n’est en mesure de s’imposer pour prendre la succession du roi Raoul à l’agonie. Le fragile équilibre permis par les alliances matrimoniales risque d’être rompu si la Bretagne vient à tomber entre les mains de ces grands seigneurs ou des chefs normands.
Un intense travail diplomatique est alors mené par les grands du royaume afin de trouver une solution au problème normand et à la question de la succession du roi Raoul. Le retour d’Alain fait partie de ce plan auquel participe activement l’abbé Jean de Landévennec.
Par son mariage en 935 avec la fille d’Herbert de Vermandois, et celui de sa sœur avec Guillaume Tête d’Étoupe, comte du Poitou, Guillaume Longue-Épée intègre la haute aristocratie franque et arrête de soutenir les Normands de la Loire. De plus, ces derniers, affaiblis par plusieurs défaites dont une désastreuse la même année dans le Berry, ne sont plus en mesure de résister.
De son côté, le roi Æthelstan lance une campagne victorieuse contre une coalition de Normands d’Irlande, de Gallois, d’Écossais et de Danois, ce qui leur interdit de porter secours aux Normands du continent.
Le retour en Bretagne
La mort du roi Raoul le 15 janvier 936 donne le signal. Alain peut rentrer en Bretagne au printemps 936. Il est toutefois obligé de mener une campagne militaire pour réduire les foyers de résistance normands. Il se dirige vers Dol, Plédran (camp de Péran) et Nantes. La bataille de Plourivo est une invention née au XIXe siècle de l’imagination du chevalier de Fréminville.
Hugues le Grand, marquis de Neustrie, offre à Louis d’Outremer de revenir sur le trône de France. Le sacre a lieu le 19 juin et Louis, pour le remercier, lui donne le titre de duc des Francs tombé en désuétude depuis la fin des mérovingiens, ce qui en fait le second personnage du royaume.
Juhel Bérenger, ne venant pas à bout des derniers bastions normands dans le pays de Dol fait appel à Alain et à Hugues du Maine. Pierre Le Baud affirme que cette bataille qui s’est déroulée à Trans le 1er août 939, est ensuite célébrée par les Bretons « parce que de là et après, commença derechef la Bretagne à être habitée par ses natifs et Bretons user des lois de leurs ayeulx. »
Alain Barbetorte duc et non roi
Le pouvoir d’Alain sur l’ensemble de la Bretagne reconnu aussi par Juhel Bérenger ne signifie pas pour autant un retour à l’ancien royaume. Il règne sur une Bretagne amputée des conquêtes postérieures à 851 et Hugues le Grand, qui ne prétend qu’au titre de duc, ne peut accepter que son obligé se place au-dessus de lui. Alain est pour cette raison le premier duc de Bretagne.
Plaque à Nantes
Plaque dans le style des Seiz Breur, commémorant en 1937 le millénaire de la victoire d'Alain Barbetorte contre les Normands. Le texte est en breton : « Alan Barvek da dad ar vro breiz ha naoned adsavet » que l’on peut traduire par « Alain Barbetorte, au père de la patrie, la Bretagne et Nantes restaurés »
Elle est située rue du Pré Nian à Nantes
Photo : Maryvonne Cadiou