Le CELIB et le modèle breton
Au tout début des années 1950 se structure en Bretagne une organisation singulière, le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB ). Cette organisation marque pendant plusieurs décennies la politique régionale, en Bretagne, en produisant des modes singuliers d’action collective dont les élites régionales contemporaines sont les héritières. Le CELIB s’organise pour contraindre l’État à intervenir et éviter le dépérissement accéléré de la Bretagne. Les activités du CELIB et de ses commissions produisent une « révolution psychologique » chez les élites bretonnes. C’est au CELIB qu’elles se familiarisent avec les principaux « problèmes » du développement économique breton (sous-équipement, sous-industrialisation, enclavement) et réfléchissent aux réponses possibles (décentralisation, aménagement du territoire). Avec la montée en puissance de la question culturelle dans les années 1970 et le durcissement du clivage droite/gauche, le CELIB s’efface progressivement. Cependant, les élites politique, économique et culturelle qui ont animé le CELIB investissent les diverses institutions et organisations économiques à l’échelon régional et transmettent un héritage de représentations et de pratiques politiques.
La Bretagne dans la République décentralisée
Le vote des lois de décentralisation par la majorité socialiste, en 1982 et 1983, marque une étape importante dans le processus de régionalisation en France. Pour la première fois de son histoire institutionnelle, l’État reconnaît les communes, les conseils généraux mais surtout les conseils régionaux comme des collectivités territoriales à part entière. La loi du 2 mars 1982, qui fixe les « droits et libertés des communes, des départements et des régions », débarrasse les collectivités territoriales de la tutelle préfectorale et transfère l’autorité exécutive du préfet au président du conseil général et/ou régional. Ces collectivités territoriales élues, donc responsables, reçoivent des blocs de compétences et des dotations financières. En Bretagne décentralisée, les acteurs politiques s’appuient toujours sur une identité régionale forte, ainsi que sur des modes d’action collective coopératifs pour bâtir, sur le temps, des coalitions de développement régional. Dans cette région façonnée par la planification et l’aménagement du territoire, le conseil régional se constitue le plus souvent en porte-parole du territoire régional et de son avenir. L’exemple du dossier LGV est à cet égard éclairant. Via des lieux de discussions comme le B16 (Bretagne à 16 qui regroupe informellement le conseil régional, les quatre conseils départementaux et les principales agglomérations bretonnes), la Bretagne est parvenue à parler d’une seule voix face à la SNCF, le gouvernement et l’Union européenne et finalement à faire financer un projet d’infrastructure ferroviaire à plus de 1,1 milliard d’euros. Ce processus où la Région s’est constituée en chef de file des intérêts bretons a permis de faire converger les intérêts des grandes villes, des villes moyennes, des conseils départementaux mais aussi ceux des représentants du monde économique et associatif autour d’un objectif de désenclavement de la péninsule armoricaine.
La Bretagne à la croisée des chemins
Cependant, la Bretagne est aujourd’hui rattrapée par les effets délétères de la décentralisation française, en particulier son boursouflage institutionnel. Dans un contexte de réduction de la dépense publique, l’heure est aux choix en matière d’organisation des pouvoirs décentralisés. Rappelons qu’en France un conseil régional a en moyenne un budget de 10 à 12 fois inférieur à celui d’un Land allemand ou d’une région espagnole. Pour le moment, la Bretagne ne semble pas en mesure de faire ces choix. Région, métropoles (Brest, Nantes et Rennes), mais aussi départements s’appuient sur la force d’inertie de la décentralisation « à la française », pour privilégier une situation de statu quo ou d’ajustements résiduels.
La Bretagne subit ainsi les différentes réformes gouvernementales (carte des régions, loi du 27 janvier 2014 dite loi MAPTAM, loi du 7 août 2015 dite loi NOTRe). La gouvernance bretonne traditionnellement agile et coopérative prend le risque de se gripper progressivement dans un millefeuille institutionnel que les gouvernements successifs, de droite et de gauche, semblent incapables de réformer. Dès lors, les questions stratégiques de vision territoriale et de simplification institutionnelle comme celui de la création d’une collectivité unique de Bretagne se fracassent sur l’autel des féodalités locales. La décentralisation serait-elle en passe de tuer l’esprit célibien ?