Une tradition ancienne
Une charte de l’abbaye de Beauport de 1514 atteste la fréquentation des côtes de Terre-Neuve par les pêcheurs de la région bien avant cette date.
À la veille de la Révolution, douze morutiers Paimpolais pêchent sur les « Grands Bancs ».
En 1793, les guerres de la Révolution interrompent les campagnes et quelques armateurs renouent provisoirement avec la guerre de course.
La grande pêche reprend dès 1816, mais en 1835, alors qu’ils y envoient encore plus de 500 marins, les prises diminuent et les Paimpolais craignent de ne plus trouver leur compte à Terre-Neuve.
À cette époque, Paimpol compte à peine 2 200 âmes, mais son Quartier maritime est l’un des deux plus importants de France et, depuis leur création en 1824, la cité abrite une des six Écoles d’hydrographie françaises, devenues Écoles de navigation puis Écoles nationales de la marine marchande.
Raisons d’une mutation
Pour Terre-Neuve, la raréfaction de la matière première et la disparition progressive des privilèges autrefois accordés aux pêcheurs français condamnent la pêche à la côte.
Les engagements des armateurs bretons sont lourds pour des résultats devenant médiocres.
Les navires terre-neuvas, dont l’archétype est le trois-mâts goélette de 3 à 500 tonneaux, demandent une quarantaine d’hommes d’équipage et la navigation vers les Grands Bancs représente 20 à 45 jours de mer.
La goélette à hunier, de 100 à 180 tonneaux, exige moins d’hommes et peut atteindre l’Islande en une semaine.
Ce délitement d’un côté et cet atout de l’autre annoncent le changement de cap.
L’épopée islandaise
En 1852, l’armateur Louis Morand (1806–1860), s’inspirant des Dunkerquois, expédie vers l’Islande son navire L’Occasion. Cette entreprise ouvre pour les armateurs et pêcheurs paimpolais quatre-vingts années sans doute économiquement bénéfiques, mais au prix d’un terrible tribut en pertes d’hommes (2 000) et de navires (120).
D’autres ports des Côtes-du-Nord suivent l’exemple, mais c’est assurément Paimpol qui marque ce « temps d’Islande » par l’importance et la qualité de son armement et le développement d’industries, d’artisanats et de commerces connexes.
À son apogée, en 1895, l’armement paimpolais compte 80 goélettes islandaises, et encore 4 terre-neuvas.
Des techniques de pêche différentes
À Terre-Neuve, la pêche dite « sédentaire » se pratique à la ligne de fond.
Le terre-neuvas, à l’ancre, déploie autour de lui ses doris, armés chacun d’un patron et de son matelot qui tendent leurs lignes l’après-midi et les relèvent le lendemain à l’aube. Sauf changement de mouillage et travaux d’entretien, le reste du jour est consacré au traitement du poisson et à la préparation des lignes pour le jour suivant.
En septembre-octobre, le terre-neuvas regagne la France, chargé de 150 à 300 tonnes de morue, parfois plus.
En Islande, la mer, les fonds, les tempêtes ne conviennent ni aux mêmes navires ni aux mêmes techniques de pêche. Il y faut un voilier de moindre taille, apte à faire face promptement à de soudaines et violentes intempéries et la pêche, dite « pêche errante », se pratique depuis le bord.
Après le traditionnel Pardon des Islandais, chaque goélette ayant embarqué de 20 à 25 hommes, la flottille appareille mi-février pour une campagne de six à huit mois.
À pied d’œuvre sur les bancs, on réduit et règle la voilure de manière à dériver lentement, latéralement. Les hommes se répartissent le long de la lisse au vent, chacun muni d’une ligne lourdement lestée qu’il file selon la profondeur où évolue le poisson. Chaque homme sera rémunéré au nombre de langues qu’il aura prélevées sur ses prises.
À la mi-mai, au rendez-vous dans un fjord pré-désigné, la « première pêche » est transbordée dans la cale du chasseur qui a apporté courrier, vivres, réapprovisionnement de sel et matériel de rechange permettant d’entamer la « seconde pêche ». Les chasseurs rivalisent alors de vitesse pour livrer au meilleur prix le très prisé poisson « primeur » aux ports destinataires. Rarement à Paimpol.
Incidence économique et sociale
La diversité des types d’embarcations du début laisse rapidement place à la goélette à hunier dont le perfectionnement, à Paimpol, consacre la conversion à l’Islande.
Les constructeurs paimpolais ne produisaient jusqu’alors que de petites unités. En 1860, un jeune maître charpentier, Louis Laboureur, rejoint l’entreprise paternelle qu’il développe en y améliorant les lignes et caractéristiques de la goélette de pêche.
Émile Bonne, contremaître embauché en 1890, lui succède à la tête de l’entreprise avant de monter sa propre affaire en 1899 à Poulafret . Celle-ci devient le chantier naval le plus important de la région. Avec une dizaine d’autres cales de lancement (Perrot, Pilvin, Goasdoué, Le Chevert…), la construction navale paimpolaise emploiera jusqu’à 800 ouvriers.
D’autres entreprises prennent part à cet essor. Des forges : Quément, Tréhiou, Gobert et surtout Dossmann (inventeur du hunier et du gui à rouleau) ; des voileries réputées : L’Helias-Gleyo, Rivoallan, Le Caër, Rochut ; poulieries, corderies, fabriques d’engins de pêche, et bien d’autres artisanats et commerces, notamment du sel, assurent l’approvisionnement et l’équipement qu’on imagine pour des hommes et des navires autonomes durant sept ou huit mois : habillement, cordonneries, salaisons, cidreries, biscuiteries…
Le déclin
Après l’apogée de la fin du XIXe siècle, l’aventure ne survit guère au premier conflit mondial. Un sursaut dans les années 1920 fait long feu. La loi islandaise du 21 avril 1922, qui réglemente la fréquentation de ses eaux territoriales pour préserver ses pêcheries et sa propre production, interdit désormais le transbordement de la première pêche sur les chasseurs. Tout espoir de reprise s’envole.
Progrès techniques, apparition des chalutiers, une infrastructure portuaire devenue peu adaptée : en 1935, la dernière campagne de La Glycine clôture cette intense et très dure « épopée islandaise ».