L’activité textile occupe plusieurs milliers de personnes en centre Bretagne : 3 500 à 4 000 tisserands vers 1770, souvent pluriactifs, associant tissage et travail de la terre, mais aussi des centaines de fileuses, apprêteurs, transporteurs, ou blanchisseurs en charge de l’opération essentielle consistant à blanchir les fils de lin – et non les toiles, au contraire de ce qui se passe pour les crées dans le Léon –, ainsi que le rappellent les règlement de 1676 et 1736. Souvent, cette activité de complément leur permet tout juste d’échapper à la misère ; mais lors de la grande crise des années 1739-1741, ils affluent par centaines vers Nantes, à la recherche de secours.
Ce sont cependant les marchands de toiles qui dominent cette société. Eux aussi sont souvent pluriactifs, ainsi que le laisse entendre un « registre des marques » établi à Saint-Malo dans les années 1780. Les plus modestes d’entre eux, ceux dont les activités ne vont guère au-delà du grand port, sont souvent des paysans aisés qui associent à leur activité agricole et au tissage, le commerce de quelques dizaines de balles composées de toiles collectées dans les campagnes des environs, qu’ils revendent d’ailleurs parfois aux négociants installés à Quintin, Uzel, Moncontour ou Loudéac. Ces derniers se passent régulièrement des intermédiaires malouins ou nantais et correspondent directement avec leurs partenaires commerciaux installés à Cadix voire au-delà. Ce sont eux – les Digaultray à Quintin, Veillet-Dufrêche à Moncontour, Moizan à Trévé, Morice à Uzel, Viet à Plouguenast… – qui se font bâtir de véritables manoirs dans les campagnes ou des hôtels particuliers en ville. Certains accèdent à la noblesse, achetant des seigneuries, à l’instar de Le Deist de Botidoux. L’on est loin cependant du modèle léonard des juloded.
Ces familles se détournent en effet du commerce toilier au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, pour investir dans la terre tout en délaissant souvent leurs demeures rurales pour s’exiler en ville, intégrant la « bourgeoisie à talents » en se faisant médecins, avocats ou notaires. Les destins d’Alexandre Glais-Bizoin ou de Louis-Adolphe Robin-Morhéry, fils et petits-fils de marchands de toile embrassant des carrières politiques nationales, sont, de ce point de vue, très révélateurs.