Partant de l’idée que pour empêcher les enfants de faire des bêtises ou leur éviter un accident il fallait leur faire peur, les parents faisaient autrefois appel à tout un légendaire. Ainsi pour éloigner les bambins des rivières, on leur disait en Basse-Bretagne que la grosse libellule, habituée d’un tel environnement, était un serpent-aiguille-volante, an nadoz-(n)aer, ar spilhenn-aer, et qu’elle cousait les yeux des enfants qu’elle surprenait dans ses parages : an nadoz-aer a wri an daoulagad. De même en Haute-Bretagne, par exemple dans la région de Rennes, nous avons relevé une image comparable avec le nom également redoutable de tire-z-yeux.
On connaît la richesse de l’imagination populaire et son aptitude à créer de nouveaux vocables. Ainsi, la libellule portait aussi en Trégor le nom de marc’h aer ou marc’h an naer, cette fois cheval ailé ou cheval-vipère. Sa piqûre, disait-on, était aussi terrifiante que celle du plus méchant reptile. Cette dernière dénomination n’est pas sans rappeler le ch’va d’caleuve, cheval de couleuvre, de notre enfance à Binic en Pays gallo. On pourrait même aller plus loin dans notre recherche en évoquant outre-Manche le dragon-fly, la mouche-dragon, et l’adder-fly, la mouche-serpent en anglais, qui ne sont qu’une seule et même libellule, des noms destinés à écarter les garnements des lieux humides. Quand on connaît les enfants, on sait – ou du moins on savait – qu’ils redouteront plus une vilaine bête qui pique qu’une interdiction péremptoire.