Les stations balnéaires en difficulté
La Bretagne vit arriver dans les années 1920 de nouveaux touristes, moins riches mais plus sportifs, souvent plus curieux. Un grand nombre d’écrivains et d’artistes vinrent souvent dans la région pour leurs vacances en famille et profitèrent d’une offre hôtelière bon marché dans des paysages encore très préservés. Le prix des terrains et des maisons permit à un nombre grandissant d’estivants attachés à un site d’y posséder une résidence secondaire.
L’indétrônable station de Dinard subit des revers pour avoir trop misé sur sa clientèle britannique condamnée à rentrer chez elle par la loi lui interdisant de sortir des devises du Royaume-Uni. Plusieurs grands projets connurent des déboires et seuls les investissements prudents et modestes furent récompensés, par exemple à Concarneau, Tréboul ou Paramé.
Le cas de La Baule reste exemplaire dans la mesure où les promoteurs qui en assurèrent le développement après la Grande Guerre avaient des assises financières solides et des projets cohérents.
L’échec de la station de Sables-d’Or-les-Pins lancée par Roland Brouard (1887-1934) à Pléhérel (Fréhel aujourd’hui) fut le plus significatif. Des centaines d’ouvriers immigrés sont employés de 1922 à 1924 aux terrassements, aux premiers aménagements et à la réalisation de 9 km de routes sur 90 ha de dunes et bois. Les promoteurs veulent s’inscrire dans le développement de l’automobile. Ils bénéficient du soutien sans faille de la revue La Bretagne touristique. Dès 1927, la station dispose de son casino et d’un grand restaurant, une soixantaine de villas de styles variés ont été édifiées et plus de 1 000 chambres attendent les estivants. La catastrophe boursière du 25 octobre 1929 va balayer les rêves de Roland Brouard et de ses amis, qui n’avaient pas assez de capitaux pour affronter la faillite. La station va devoir attendre le début des années 1950 pour connaître une forme de renouveau associé à la relance économique, mais elle garde encore en hiver un aspect de ville fantôme balayée par les vents.
Les débuts du tourisme populaire
Dès 1853, les fonctionnaires de l’État bénéficièrent de 15 jours de congés payés. Certaines professions grignotèrent les jours de congé au fil des ans et la « semaine anglaise » fit d’importants progrès au début du XXe siècle. Mais c’est l’instauration des congés payés pour tous les salariés en 1936 qui marqua une vraie rupture symbolique.
Été 36 : on improvise
La mesure venait en fait trop tard et la pratique du temps libre dans la culture des salariés n’intégrait pas encore de longs déplacements, la découverte d’espaces inconnus et la location saisonnière. Si départ il y a eu, ce fut, en improvisant beaucoup, pour retrouver de la famille assurant l’hébergement. Ce type de voyage compta pour beaucoup dans les 600 000 billets à tarif réduit émis cet été-là. Il ne faut pas oublier non plus qu’à cette époque, la moitié de la population est encore rurale et ne connaît en matière de vacances que celles des autres. D’ailleurs, « il n’y a pas de mot breton pour signifier les vacances en dehors de celles des écoliers » notait P. J. Hélias.
Ce ne fut donc pas une ruée vers les plages. Si cela a pu sembler le cas, c’était plus le fait d’une capacité d’accueil très insuffisante que d’un afflux réellement massif. C’est surtout une nouvelle clientèle venue des villes proches qui a ponctuellement pu profiter des beaux jours et provoquer quelques engorgements tels que ceux décrits dans un article de la revue Bretagne par le député-maire de Pouldreuzic, Albert Le Bail : « Cette année, le pays a littéralement été envahi par les congés payés. Toutes les chambres libres dans le bourg ont été réquisitionnées par les hôteliers qui s’arrachaient les cheveux de désespoir, refusant vingt à trente personnes par jour. À proximité, Lesconil, petit port à peu près inconnu jusque-là, recevait plus de quinze cents baigneurs, chiffre très supérieur à celui de sa population. Ceux-ci couchaient dans les caves, dans les greniers, en dortoirs. »
Les belles années 50
Le souffle de la guerre éteint, les vacances en Bretagne deviennent un rêve accessible pour beaucoup, même si pour nombre de Bretons elles ne durent souvent que le temps d’aller le dimanche en famille à la plage la plus proche.
C’est un sentiment de liberté qui imprègne alors les vacances. On stationnait sa voiture directement sur la plage, on campait quasiment n’importe où, soit sur de vagues terrains municipaux, soit dans des champs généreusement prêtés par des agriculteurs encore bien présents et accueillants. Les pensions de famille offraient des alternatives à des tarifs très raisonnables et, pour qui s’attachait, il était toujours possible, à l’occasion d’un petit héritage, d’acheter sans se ruiner une parcelle pour construire ou une maison « à retaper ». Progressivement, cabanons et caravanes s’installaient à demeure. On nouait aussi sans trop de mal des relations avec les habitants. On pouvait presque croire que, lentement mais sûrement, les « Trente Glorieuses » réalisaient l’utopie élaborée depuis deux siècles : la Bretagne devenait un espace de vacances ouvert à tous, joyeux et amical.
Les congés scolaires jouèrent un grand rôle dans le plus ou moins grand étalement des vacances. Non seulement ils permirent aux enseignants de grossir les rangs des touristes sur toute la période, mais aussi d’inciter les mères qui ne travaillaient pas à effectuer de longs séjours au bord de la mer puisqu’on a pu jouir de dix semaines de vacances scolaires estivales entre 1912 et 1983.
La fin d’une époque
À regarder la perspective des deux derniers siècles, on distingue sans peine un extraordinaire mouvement des hommes vers le littoral. Pour ne parler que de la France, on ne peut qu’être frappé par la façon dont la mer a été apprivoisée. Petit à petit on s’est débarrassé de l’attirail des cabines roulantes, des contraintes thérapeutiques, des maillots en forme de chasuble, de la peur de l’eau. Le séjour aux « bains de mer » est devenu « vacances » avec tout ce que cela suppose de rupture vis-à-vis des contraintes du quotidien, fût-ce pour s’en inventer de nouvelles. Une culture est née avec ses invariants (la Bretagne, paradis originel) et ses innovations successives (la régate, le camping, la carte postale…).
La « Belle Époque » des vacances en Bretagne a duré 150 ans. En effet, les premiers Anglais sont arrivés en 1815 et on peut dater symboliquement de 1965 l’avènement du tourisme de masse avec l’inauguration du grand projet portuaire et immobilier du Crouesty sur des marais de la presqu’île d’Arzon. De nouvelles pratiques sont nées et, tout doucement, les vacances en Bretagne sont entrées dans l’histoire.