Cette affiche est créée par Fañch Le Henaff en collaboration avec Alain Le Quernec dans le contexte de la loi Pasqua (loi n°86-1025 du 9 septembre 1986) visant à durcir les conditions d’entrée et de séjour en France pour les étrangers. Elle fait suite à l’assassinat de Malik Oussekine ainsi qu’à l’accident survenu à François Rigall, étudiant brestois qui reçoit une grenade en plein visage, le défigurant à vie. Cette affiche, conçue dans l’immédiateté de ces évènements tragiques, est un appel à la population à soutenir les étudiants : de la maquette à l’affiche éditée, il se passe 48 heures. Comme tout projet militant, elle est présentée aux étudiants de Brest, votée à main levée.
Les affiches de l’Union démocratique bretonne sont, elles, la plupart du temps non signées, mais elles n’échappent pas aux inspirations graphiques – comme l’utilisation du photomontage, le travail de la typographie –, chères aux avant-gardes de l’entre-deux-guerres. Elles utilisent aussi fréquemment l’humour grinçant ou l’ironie. Un auteur-militant, Jean-Claude Faujour, crée le motif de chouette jaune et noir dans un cercle, emblème de l’UDB pendant plusieurs décennies.
Cette affiche, créée à l’occasion d’une campagne du Parti socialiste en 1978 en faveur de l’emploi, s’inscrit dans le contexte politique précédant les présidentielles de 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir. En Bretagne, de grandes villes ont déjà basculé à gauche aux élections municipales de 1977, comme à Rennes, avec l’élection d’Edmond Hervé, le nouveau maire socialiste. Alain Le Quernec crée deux versions de cette affiche, l’une en français, l’autre en breton : en reprenant dans l’image et dans le slogan des références au mouvement politique breton d’avant-guerre, il met en avant des sujets forts autour de la régionalisation et de la décentralisation.
De la Bretagne à Varsovie, en passant par La Havane : des circulations graphiques
Dans les années 1960, l’affiche est un vecteur privilégié des engagements politiques. De nombreux graphistes y puisent leurs inspirations tout en y trouvant, pour certains, la matrice de leurs propres engagements politiques. Au cours des décennies suivantes, 1970, 1980 et 1990, l’affiche continue de s’affirmer comme un médium important dans l’espace public, avec son langage, ses codes : populaire, elle est à la portée de tous, collée sur les murs, parfois transformée ou arrachée. La Bretagne n’échappe pas à cette présence massive de l’affiche, dans les villes mais aussi les campagnes.
Quelques grands courants artistiques de la première moitié du XXe siècle, en Europe et aux États-Unis, s’imposent comme des références communes auprès des graphistes : le constructivisme russe, le photomontage, le Bauhaus ou le pop art sont revisités par de nouvelles générations qui entendent investir autrement l’espace public. 1968 laisse également sa marque et entraîne un renouveau du matériel ordinaire des luttes : l’affiche politique, créée dans l’urgence, imprimée avec les moyens du bord, reprend la rue aux côtés des tracts, brochures et fanzines. La création graphique, souvent collective, se nourrit alors des sciences sociales en pleine effervescence et investit des supports populaires, du magazine à la pochette de disque et au livre de poche.
Mêlant art et politique, les images circulent d’un continent à l’autre. Les graphistes se rencontrent, se forment, s’inspirent au gré des voyages d’étude, d’expositions ou de lectures de revues et éditions. La Pologne, représentée par de grands graphistes comme Jan Lenica ou Henryk Tomaszewski, devient une référence incontournable, alors que l’affiche cubaine, aux lendemains de la Révolution socialiste connaît aussi un renouveau et un âge d’or sans précédent. En Bretagne, et particulièrement dans le Finistère, la création graphique et la production d’affiches dans ces années-là sont importantes, émanant aussi bien d’affichistes, qui se revendiquent comme tels (Alain Le Quernec, Fañch Le Henaff), que d’anonymes œuvrant au service de causes régionales, pour des partis, des syndicats, des associations, des comités de défense ou de promotion. Cette créativité foisonnante débouche d’ailleurs sur une prise de conscience patrimoniale de la part d’un petit groupe d’affichistes professionnels et d’amateurs intéressés par l’affiche bretonne : ils fondent en 1989 l’association Skritellaoueg Breizh, qui ambitionne de devenir un « musée de l’affiche bretonne ». Ces fonds sont aujourd’hui déposés aux archives départementales du Finistère.
Quand le graphisme veut changer le monde ! Mobilisations internationales
Du milieu des années 1960 aux années 1990, de grandes causes politiques ou sociétales mobilisent l’opinion internationale : on manifeste POUR ou CONTRE, on s’engage au nom d’idéaux démocratiques, de liberté, d’émancipation. On veut changer le monde ! Le monde du graphisme ne reste pas en marge de ces mobilisations et voit fleurir des affiches en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, à Cuba, en France… jusqu’en Bretagne.
En s’emparant des mêmes causes pour leur donner une traduction visuelle, les artistes produisent, transmettent et revisitent des signes graphiques qui se répandent à travers le monde : le chapeau conique vietnamien devient un symbole permanent de la lutte contre l’impérialisme américain ; le globe terrestre dit le souhait d’un meilleur sort pour l’humanité ; la colombe dit la paix. Les graphistes bretons suivent ces mêmes mouvements et influences : ils mettent leur art au service de la lutte contre les dictatures en Amérique latine, pour la paix et la lutte contre le racisme… tout en gardant un pied bien ancré en Bretagne, avec des engagements liés au contexte régional. Ainsi, Fañch Le Henaff se mobilise en soutien à des destinées individuelles brisées : il suit la mobilisation bretonne pour l’infirmière Madeleine Lagadec, originaire de Guipavas, assassinée au Salvador en 1989 à l’âge de 27 ans. Il crée deux affiches pour le collectif de soutien : la première, sur fond blanc avec le motif du rosier central et la photographie de Mado en médaillon, est créée pour dénoncer ce crime et les exactions des forces armées salvadoriennes. Dans son affiche en hommage à Chico Mendès, syndicaliste assassiné au Brésil en 1989, il traduit en acte ses engagements : cette affiche d’auteur a été autoproduite et tirée à 300 exemplaires. Une partie des bénéfices de la vente a été reversée à une association du Brésil œuvrant contre la déforestation brésilienne.
Sur un plan régional, de nombreuses mobilisations politiques, syndicales, sociétales émaillent cette période et donnent lieu à création d’affiches. En termes quantitatif, deux séries d’évènements constituent des temps forts, entraînant une production d’affiches massive, que ce soit chez les graphistes professionnels ou les anonymes : les marées noires, avec notamment celle de l’Amoco Cadiz, en 1978, et les mouvements anti-nucléaires, notamment la lutte contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff qui culmine durant l’hiver 1981 au moment de l’enquête publique.
Le graphisme et la commande
L’engagement politique et social des graphistes se manifeste dans leurs pratiques professionnelles et leurs formes d’organisation tout comme dans les causes soutenues et leur relation à des commanditaires. Qu’ils travaillent seuls ou en groupe, les graphistes veillent à se reconnaître dans les commandes qu’ils acceptent, émanant d’institutions publiques, de partis, de syndicats, ou d’associations. Leurs créations touchent alors à un vaste domaine, allant du politique aux questions de société, avec une part grandissante pour la culture, dans le contexte des années 1980 et le développement des politiques culturelles. Ainsi, Alain Le Quernec entretient une relation de confiance, entraînant des commandes régulières avec le Parti socialiste et notamment le maire de Quimper, Bernard Poignant ; il collabore aussi avec de nombreuses institutions culturelles du territoire, comme les musées ou les festivals, mais aussi des associations ou des syndicats. Quant à Fañch Le Henaff, il revendique une pratique plus personnelle, avec de nombreuses affiches éditées à compte d’auteur. Des évènements peuvent aussi les rassembler, les amenant à créer des projets communs, comme avec l’affiche Liberté égalité fraternité répression sélection racisme, créée en 1986. D’autres artistes s’emparent aussi à cette époque de l’affiche, comme Alain Goutal, à côté d’autres pratiques comme l’illustration ou le dessin de presse : il crée ainsi, en 1980, une affiche largement diffusée, en faveur de l’amnistie des prisonniers politiques bretons.