Pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir hésité plusieurs mois sur la ligne politique à mettre en œuvre, le Parti ouvrier internationaliste (POI), fondé en 1936 et fort de 200 militants en France, développa la stratégie originale du « travail allemand ». Celle-ci s’inscrivit aux antipodes des opérations meurtrières conduites par les commandos de chocs du PCF dans le but de « terroriser » l’occupant.
En effet, les soldats de la Wehrmacht, loin d’être tous amalgamés aux « hitlériens », c’est-à-dire aux Waffen-SS et aux membres de la Gestapo, de façon indifférenciée, étaient perçus par les trotskistes du POI, qui rejetaient toute forme de chauvinisme, comme « des travailleurs en uniforme ». Il était nécessaire de militer avec ces derniers pour engager la lutte contre les ennemis communs : le système capitaliste et « la terreur fasciste et réactionnaire » qui sévissait en Allemagne, en France et en Italie.
Ainsi, une des actions les plus remarquables des trotskistes de la section de Brest, qui comptait une vingtaine de militants en août 1943 dont André Calvès, fut-elle la mise en place de cellules composées de soldats allemands. Ils diffusèrent, au cours de l’été 1943, d’abord deux numéros d’un journal intitulé Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen (Journal pour le soldat et l’ouvrier de l’Ouest) dans laquelle des soldats allemands stationnés à Brest exprimaient leur désenchantement devant cette « guerre horrible » dont étaient responsables les capitalistes, enjoignant leurs « frères d’armes » d’adhérer sans attendre à la Quatrième Internationale pour préparer la crise révolutionnaire qui naîtrait, selon leurs pronostics, sur les ruines du IIIe Reich.
Portrait de Robert Cruau, issu de : "Critique Communiste, No. 25, November 1978."
Puis, ce fut Martin Monath, jeune militant juif et berlinois, devenu dirigeant de la Quatrième Internationale, qui se chargea, naviguant entre Brest et Paris, d’un autre journal rédigé, lui aussi, en allemand, l’Arbeiter und Soldat, entre juillet 1943 et juillet 1944. Cette « entreprise héroïque » de « fraternisation révolutionnaire » entre Français et Allemands connut toutefois un terrible coup d’arrêt lorsque les nazis liquidèrent, en octobre 1943, une quinzaine de soldats allemands impliqués dans ce travail de liaison et plusieurs cadres militants de la section brestoise du POI, dont Robert Cruau. Âgé de 22 ans, ce jeune postier, originaire de Nantes, arrivé à Brest en mars 1943 pour fuir le STO avec deux autres militants, les frères Georges et Henri Berthomé, était le seul militant parlant allemand parmi ses camarades bretons.